mercredi 11 novembre 2015

L'affaire Lukis Anderson ou quand le test ADN s'égare

En 2001, 2003, 2004, 2005, 2006 et 2007  l'inscription au FNAEG (Fichier national automatisé des empreintes génétiques) a été largement étendue à toutes sortes de délits - avec les lois, respectivement, "sur la sécurité quotidienne" de novembre 2001, promulguée par le gouvernement Jospin dans la panique post-11 septembre; la loi pour la sécurité intérieure de 2003, dite loi Sarkozy II; la loi Perben II du 9 mars 2004; la loi de 2005 sur la récidive promulguée sous Villepin; la loi sur les violences conjugales de 2006 et la loi de 2007 sur la prévention de la délinquance, également sous Villepin. En 2014, plus de 2,6 millions de profils y étaient enregistrés, ainsi que plus de 200 000 traces correspondant à des profils inconnus - c'est-à-dire non encore enregistrés.

On connaît les dérapages liés à ce fichier, avec par exemple l'histoire du gamin à qui on avait imposé un prélèvement ADN suite au vol d'un Tamagoshi, ou les risques posés par "l'identification familiale", permettant, à partir d'un profil fiché, de remonter aux membres proches du sujet (il faut donc multiplier les 2,6 millions de profils effectivement fichés par leurs proches pour évaluer combien de personnes sont concernées par le FNAEG, ce qui conduit à une part non négligeable de la population française). On a relativisé l'utilité, ici, du FNAEG dans l'identification des responsables de viol, qui le plus souvent sont loin d'être des parfaitement inconnus de la victime.

Aujourd'hui, alors que la presse annonce qu'on aurait retrouvé des empreintes génétiques qui permettraient, peut-être, de disculper le jardinier Omar R., dans la célèbre affaire "Omar m'a tuer", des scientifiques constatent dans Nature* que le progrès dans l'analyse des empreintes génétiques conduit non pas seulement à une meilleure fiabilité, mais au contraire à un problème majeur de fiabilité!  

L'explication est simple. Alors qu'à l'époque du rapport Cabal, en 2001, sur la fiabilité de l'empreinte génétique en matière judiciaire, il fallait un échantillon corporel (dûment conservé par la police) afin d'effectuer un prélèvement ADN - soit du sang, du sperme ou autre fluide corporel -, aujourd'hui il suffit de passer un coton-tige sur des surfaces qui auraient pu être touchées par le suspect pour prélever les cellules nécessaires au test ADN. Il faut, aujourd'hui, moins de 100 picogrammes d'ADN pour reconstituer un profil génétique complet.

Or, la présence de traces aussi infinitésimales ne prouvent en rien la présence d'une personne sur les lieux, ou le fait qu'elle ait touché tel ou tel objet. Tout simplement parce qu'elles peuvent facilement provenir de transferts secondaires. Une expérience a ainsi montré que lorsque deux personnes se serrent la main, puis touchent un couteau, dans 85% des cas l'ADN de l'autre sujet est transféré sur l'objet et ensuite profilé. Plus inquiétant: dans 20% des cas, l'analyse de l'empreinte génétique résultante "montrait" que ce sujet (qui n'a en réalité pas touché le couteau) est celui qui l'a majoritairement, voire exclusivement, manipulé.

C'est ainsi qu'en 2013, en Californie, Lukis Anderson a été accusé de meurtre et détenu en prison cinq mois, avant d'être innocenté, parce qu'on avait retrouvé son empreinte génétique sous les ongles d'un cadavre. Or, Anderson était ivre mort à l'hôpital au moment du meurtre. En fait, ce sont les paramédicaux qui l'avaient soigné qui ont transféré ses empreintes génétiques sur le corps de la victime, qu'ils ont également eu en charge peu après...

A lire la communication à l'Académie de médecine, en 2012, de M. Christian Doutremepuich, ce problème de transfert secondaire de traces n'a pas franchi les frontières. Ce qui est un peu inquiétant si plus de 200 000 traces sont inscrites dans le FNAEG, et que la loi n'est pas modifiée pour interdire la conservation de traces non issues d'échantillons biologiques important (soit de sang, sperme, etc., en quantité suffisante).
  
 * Cynthia M. Cale, "Forensic DNA evidence is not infallible", Nature, 28 octobre 2015, vol. 526, n°7575

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