mardi 5 juin 2012

L'abrogation de la circulaire Guéant: le discernement contre la rigueur

Le changement de style, c'est maintenant? Que peut-on faire, en matière de droit des étrangers et d'hospitalité, sans toucher au CESEDA, la ré-écriture de ce code si peu hospitalier devant patienter encore jusqu'au second tour des législatives du 10 et 17 juin? 

Après un premier signal n'évoquant guère le changement, l'immigration demeurant du ressort exclusif de la Place Beauvau, l'abrogation de la circulaire Guéant sur l'immigration de travail constitue un exercice de style de bien meilleur aloi. Où l'on verra le discernement s'opposer à la rigueur en tant que vertus rivales de l'application des lois. 

L'immigration, une affaire (socialiste) de police?

Le premier signal n'avait guère été heureux: en entérinant le rattachement de l'Immigration au ministère de l'Intérieur, le gouvernement Hollande s'inscrit dans les pas de son prédécesseur, à la grande déception de la Ligue des droits de l'homme (LDH). Si l'art. 1 du décret du 25 novembre 2010 concernant les attributions du ministère de l'Intérieur, etc., et de l'Immigration, affirmait que le ministre mettait en œuvre et préparait la politique du Gouvernement « en matière de sécurité intérieure, de libertés publiques, de sécurité routière, d'administration territoriale de l'Etat, d'outre-mer, de collectivités territoriales, d'immigration et d'asile », le nouveau décret reprend en effet la même formulation, à peu de choses près: le ministre de l'Intérieur etc. est désormais ministre de l'Intérieur tout court, et il ne s'occupe plus de l'outre-mer, qui constitue désormais un porte-feuille à part, détenu par Victorin Lurel, et les collectivités territoriales ne sont plus citées, peut-être par économie de style. Or, comme le rappelle la LDH:
Jusqu’en 2007, et la création du ministère de l’immigration et de l’identité nationale, les questions d’asile dépendaient des Affaires étrangères. Tout ce qui touche à la naturalisation était relié, depuis 1945, aux différents ministères qui ont eu à traiter des affaires sociales. Seule la police aux frontières et les centres de rétention ont toujours été du ressort du ministère de l’Intérieur.

Depuis fin 2010, tout ce qui relève de la politique migratoire a été rattaché au ministère de l’Intérieur à la suite de la dissolution du ministère de l’immigration et de l’identité nationale. Mais ce découpage a souvent été critiqué par le Parti socialiste.
Les circulaires Guéant et leur abrogation: lecture comparée

Le Monde (31/05/12) annonçait il y a une semaine l'abrogation de la « très controversée circulaire Guéant sur les étudiants étrangers ». Dès le 21 mai, Geneviève Fiorasso, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, une amie du groupe grenoblois Pièces et Mains-d'Oeuvre de par son rôle au pôle nano de la ville alpine, annonçait l'abrogation de cette circulaire du 31 mai 2011 conduisant à refuser aux étudiants étrangers ayant obtenu leur diplôme le droit de chercher un travail en France - bien que l'art. 311-1 du CESEDA, issu de la loi sarkozyste de 2006 sur l'immigration, prévoit explicitement qu'une autorisation provisoire de séjour de six mois puisse être délivrée:
Une autorisation provisoire de séjour d'une durée de validité de six mois non renouvelable est délivrée à l'étranger qui, ayant achevé avec succès, dans un établissement d'enseignement supérieur habilité au plan national, un cycle de formation conduisant à un diplôme au moins équivalent au master, souhaite, dans la perspective de son retour dans son pays d'origine, compléter sa formation par une première expérience professionnelle participant directement ou indirectement au développement économique de la France et du pays dont il a la nationalité.
En fait, la controverse avait conduit Claude Guéant à céder devant la fureur des présidents d'université et des grandes écoles. Cela fait en effet mauvais genre d'expulser du jour au lendemain les talentueux élèves ayant réussi à franchir toutes les barrières à l'intégration suscités par les innombrables tracas du Ministère de l'Intérieur et de l'Immigration pour obtenir leur master. Aussi, la circulaire du 31 mai 2011, dite de « maîtrise de l'immigration professionnelle », avait-elle été légèrement amendée, c'est-à-dire uniquement concernant la question étudiante, par la circulaire du 12 janvier 2012, dite d' « accès au marché du travail des diplômés étrangers de niveau au moins équivalent au Master : modalités d’examen des demandes » et qui se faisait fort de rappeler l'existence de l'art. 311-1 précité du CESEDA. 

Or, il se trouve qu'à quelques nuances de style - importantes sur le fond, comme nous le montrerons -  et à une modification majeure, la nouvelle circulaire du 31 mai 2012, dite d'« accès au marché du travail des diplômés étrangers », est une copie quasi-conforme de cette dernière circulaire promulguée sous la pression de l'opinion publique.

Aussi, la phrase la plus importante de la nouvelle circulaire, en gras, est-elle celle-ci:
Conformément aux engagements du Président de la République, la circulaire n°IOC/L/11/15117/J du 31 mai 2011 relative à la maîtrise de l'immigration professionnelle et la circulaire n° IOC/L/12/01265/C du 12 janvier 2012 relative à l'accès au marché du travail des diplômés étrangers de niveau au moins équivalent au master sont en conséquence abrogées.
Le reste de la nouvelle circulaire ne fait que reprendre, à peu de choses près, des dispositions rappelées par Guéant le 12 janvier. Mais pour comprendre l'importance de la différence, qui n'est pas que de forme, il suffit de rappeler la teneur de la première circulaire, celle du 31 mai 2011, abrogée un an après, jour pour jour. 

La circulaire Guéant du 31 mai 2011, ou quand le gouvernement UMP mettait des bâtons dans les roues des patrons et empêchait l'intégration des étrangers

Celle-ci, forte de 6 pages - contre seulement 4 contre la circulaire de la présidence « normale » - était plus que bavarde. Signée par le ministre de l'Intérieur Guéant et celui du travail, Xavier Bertrand, elle était précédée d'un résumé entier, affirmant que «le Gouvernement [s'était] fixé pour objectif d'adapter l'immigration légale aux besoins comme aux capacités d'accueil de l'intégration de la société française, ce qui « implique une diminution du flux, conformément à l'objectif national annoncé récemment, en adoptant une approche qualitative et sélective ». Dès lors, toute demande d'autorisation de travail devait être instruite « avec rigueur » - avec « fermeté mais humanité », disait-on au temps de Saint-Bernard. S'agissant des étudiants, la tendresse n'était pas non plus à l'ordre du jour: 
L'exception prévue pour les étudiants qui sollicitent une autorisation provisoire de séjour dans le cadre d'une recherche d'emploi doit rester rigoureusement limitée. Le fait d'avoir séjourné régulièrement en France en tant qu'étudiant, salarié en mission ou titulaire d'une carte «compétences et talents » ne donne droit à aucune facilité particulière dans l'examen de la procédure de délivrance d'une autorisation de travail.
L'UMP, ce parti héraut du libéralisme, prétendait ainsi à ce que l'Etat détermine « les capacités d'accueil de l'intégration de la société française », selon on ne sait quel thermomètre du sentiment autochtone d'hospitalité. Partisan de l'intelligence entrepreneuriale et de la liberté du marché, le gouvernement Fillon considérait qu'il fallait non seulement « vérifier l'existence réelle de l'employeur » (en gras), tout document apporté par un étudiant ou travailleur étranger étant soupçonné d'être mensonger, mais aussi donner un avis défavorable en utilisant de tous les prétextes possibles, par exemple du non-respect des « obligations liées au recours à des travailleurs handicapés », « à l'emploi des « seniors » », ou de l'absence d'une GPEC (gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences). 

C'est un peu comme si on disait que faute d'avoir respecté la loi LRU sur les 20% de logements sociaux par commune, le préfet pourrait refuser à un étranger de s'installer dans cette commune - ce qui somme toute, n'est pas tout à fait inenvisageable dans l'état actuel du droit, puisque l'art. R321-1 du CESEDA, reprenant en cela l'art. 2 du décret du 18 mars 1946, dispose que:
Le ministre de l'intérieur peut néanmoins désigner par arrêté certains départements dans lesquels les étrangers ne peuvent, à compter de la date de publication dudit arrêté, établir leur domicile sans avoir obtenu préalablement l'autorisation du préfet du lieu où ils désirent se rendre.
Lors du décret de septembre 2011 appliquant la énième loi sur l'immigration, les étrangers membres de l'Union européenne, de l'Espace économique européen ou de la Suisse, ont été exclus de cette disposition archaïque et attentatoire à la liberté de circulation et d'installation. Sarkozy avait toutefois jugé bon de la conserver, sait-on jamais?

La circulaire Guéant évoquait ensuite un mystérieux « taux de tension », dont on apprend ailleurs qu'il 
exprime, pour une demande d’emploi enregistrée, le nombre d’offres d’emploi déposées. Il correspond au rapport du nombre d’offres d’emploi déposées au cours d’une année sur le nombre de demandes d’emploi enregistrées au cours de la même année. Il permet d’évaluer les tensions de recrutement selon les métiers.
Dès lors, si cet indicateur annuel conduisait le préfet à considérer qu'il n'y avait pas de difficultés de recrutement, alors la demande de l'étranger devait être rejetée. C'est ce qu'on appelle se fier au flair et aux besoins des entrepreneurs ! On ne s'étonnera guère que le MEDEF, lui aussi, ait dénoncé cette circulaire (Figaro, 23/05/12)... 

De même, la circulaire exigeait que soit écartée toute demande d'autorisation de travail de l'employeur qui n'aura pas procédé à « une recherche effective dans le bassin d'emploi », recherche considérée comme réalisée qu'à l'aide d'une diffusion par Pôle emploi durant deux mois. Autrement dit, un patron trouvant un étranger prêt à travailler en une semaine devait attendre, selon le gouvernement UMP, deux mois, le temps que Pôle emploi vérifie qu'un national, ou un étranger déjà doté d'un permis de travail, ne réponde pas à l'appel! Cela au nom d'une «préférence nationale » inavouée - mais rappelée à l'occasion d'un emploi non qualifié tenu par un étudiant mais qui pourrait, selon on ne sait quel critère, être tenu par un national ou un étranger déjà doté d'un permis de séjour - comme quoi, entre étranger accueilli et étranger accueilli, il y a des nuances... 

Et dans le même temps, le gouvernement « constatait » que « le taux de chômage des étrangers non-communautaires se [maintenait] à un niveau particulièrement élevé », soit 23%. Il est vrai qu'il faisait tout pour faciliter les capacités d'accueil et d'intégration de la société française ! 

La confiance de l'UMP envers les patrons se manifestait encore par le contrôle préfectoral sur l'adéquation du profil du candidat au poste : ainsi, si le préfet considérait que « les diplômes ou l'expérience professionnelle [étaient inférieures] aux exigences nécessaires pour occuper le poste », l'autorisation de travail devait être refusée. Et l'avis de l'employeur, dans tout ça? Idem dans le cas contraire, à savoir d'un « profil manifestement surqualifié ». Et l'avis de l'employé, dans tout ça? Les étudiants autochtones bac+5 ont le droit de travailler chez MacDo, pas les étrangers!

Le préfet devait encore vérifier la « connaissance suffisante de la langue française », le gouvernement Fillon-Sarko ne jugeant pas non plus l'évaluation de l'employeur digne de confiance.

Après ces préconisations grotesques de la part d'une droite dite « libérale » et qui prétend détenir les clés de la croissance, venait une précision bureaucratique importante: 
De fait, une grande part du flux migratoire à caractère professionnel provient de changements de statut demandés par les étudiants.
En d'autres termes, la circulaire mettait en exergue le fait que ce que la statistique officielle dénomme « flux migratoire » de travail ne constitue le plus souvent pas un flux, ni une entrée sur le territoire, mais le passage à la vie « adulte », c'est-à-dire l'obtention d'un contrat de travail après de longues études effectuées en France.

Enfin, cette circulaire odieuse concluait en durcissant les dispositions prévues par le maintenant célèbre L.311-11 du CESEDA concernant l'autorisation provisoire de séjour des nouveaux diplômés, en limitant celle-ci aux heureux élus ayant trouvé « un contrat de travail prévoyant une rémunération égale ou supérieure à une fois et demi » le SMIC, à condition que « la nature du poste soit en cohérence avec les diplômes obtenus ». Les intellos précaires ? Connaît pas!

Le changement commence par l'abrogation

On comprend mieux, dès lors, l'importance de la circulaire du 31 mai 2012, signée par trois ministres, M. Valls (Intérieur), M. Sapin (Travail) et G. Fioraso (Enseignement supérieur & Recherche). Car si en effet, elle n'ajoute guère à la circulaire de janvier 2012, elle rompt fortement avec celle-ci en abrogeant l'imbécile circulaire Guéant du 31 mai 2011. 

Mais pourquoi ne pas en profiter pour marquer le changement de style? Ainsi, les ministres socialistes l'introduisent-elle en affirmant que « l'accueil des étudiants étrangers participe au rayonnement de la France, à l'attractivité nationale et internationale de nos écoles et universités ainsi qu'au dynamisme de notre économie ». Il y aurait certes matière à discourir sur l'intérêt d'une telle attractivité internationale, qui était aussi le dada de Valérie Pécresse... Mais un tel débat ressort de la politique des écoles, et non du ministère de l'Intérieur.  

La rigueur contre le discernement : deux vertus contradictoires 

Plutôt qu'avec de la rigueur, il est désormais demandé aux préfets d' « appliquer [le droit] avec tout le discernement nécessaire à la prise en compte de chaque situation individuelle », discernement dont l'un des sens, selon le Littré, consiste à distinguer les personnes suivant leur dû - tâche républicaine s'il en est - mais aussi à la faculté de bien apprécier les choses. Cela tranche en effet avec la rigueur, qui est, toujours selon le Littré, une « dureté qui agit avec une sévérité inflexible » ou une « grande exactitude, [une] grande sévérité dans l'application des règles ».

Il y a là bien davantage qu'une différence entre la gauche et la droite, entre la revendication d'humanité de la première et celle de fermeté et de sévérité de la seconde. Contrairement à ce que dit le vénérable dictionnaire, l'exactitude n'est pas synonyme, en droit, de sévérité : être exact, c'est aussi être précis, et être précis, c'est s'ajuster au cas, et donc faire preuve de discernement.

Dans l'opposition entre rigueur et discernement, on peut ainsi voir aussi la distinction entre le juge, qui fait preuve de son esprit d'analyse et de son intuition pour percevoir la singularité du cas, afin d'appliquer comme il se doit la règle, et d'un bureaucrate obtus, n'appliquant que la lettre de la loi - en l'occurrence, de la circulaire, puisque celle de Guéant allait bien au-delà de la loi -, au mépris de toute intelligence de celle-ci.  La lettre contre l'esprit, l'interprétation contre l'automatisme de la règle?...

Ce discernement, Guéant, Bertrand et Wauquiez l'avaient aussi demandé, dans leur circulaire de janvier 2012 modérant la circulaire Guéant, mais sans le mettre en exergue comme l'ont fait les nouveaux ministres:
Pour les changements de statut, en dehors de ceux prévus par l’article L.311-11 du CESEDA (...), vous veillerez à examiner avec discernement les demandes qui vous sont adressées, de sorte que la nécessaire maîtrise de l’immigration professionnelle ne se fasse pas au détriment de l’attractivité du système d’enseignement supérieur français, ni des besoins de nos entreprises en compétences spécifiques de haut niveau (au moins master ou équivalent).
La connaissance approfondie d’un pays, d’une civilisation, d’une langue ou d’une culture étrangères peut ainsi constituer une compétence spécifique recherchée par certaines de nos entreprises, par exemple pour la conquête d’un nouveau marché.
Ils rappelaient par là en quelle haute estime le précédent gouvernement tenait la culture, de la Princesse de Clèves au discours du 22 janvier 2009. En effet, à quoi peut-elle bien servir, sinon, « par exemple », à la « conquête d'un nouveau marché » ? La culture, pour faire la guerre?
 
Mis à part ces détails, le nouveau gouvernement se signale par son attention, en demandant, en gras, aux préfets d'être « attentifs à fournir à l'étudiant l'ensemble des informations nécessaires au traitement de son dossier dès le premier contact qu'il aura avec les services » et d'examiner les dossiers rapidement, soit en moins de deux mois, « afin d'éviter à l'étudiant étranger le risque de perdre l'emploi auquel il postule ».

Gageons que les étudiant-e-s concerné-e-s ne considèrent pas qu'un tel discernement et une telle attention ne constituent que des points de détail insignifiants. Ne parlons même pas des autres travailleurs étrangers ou des patrons qui, du jour au lendemain, ont vu disparaître l'une des circulaires symbolisant au plus haut point l'impasse obscure à laquelle le discours de l'UMP sur l'immigration a pu mener le pays...

Et maintenant? Abrogation des lois Pasqua-Debré ? ! ! !


PS: je tombe un peu tard sur cette tribune de Jean-Philippe Foegle, président de la LDH Sorbonne, et du juriste Serge Slama,  Etudiants étrangers: changer vraiment de politique (Mediapart, 31/05/12). On y lit, entre autres:
Depuis la suspension de l’immigration de travail décidée en juillet 1974, les politiques publiques à l’égard des étudiants étrangers ont toujours été guidées par le principe selon lequel « en principe tout étranger venu pour poursuivre des études doit normalement regagner son pays d'origine à la fin de ses études », comme le mentionnait déjà une circulaire du ministre de l'Intérieur, Charles Bonnet, le 12 décembre 1977
(...) La première est le décret du 6 septembre 2011 augmentant le plafond de ressources nécessaire à un étudiant étranger pour obtenir un titre de séjour en France. Les étudiants étrangers doivent désormais justifier, au lieu de 5 400 €,  de près de 7 680 € par an pour séjourner en toute légalité en France. C'est abusif.
(...)
Outre le fait que ces étudiants soient exclus tant des aides sociales (Crous, Locapass) que de la possibilité de toucher des allocations chômage alors même qu'’ils cotisent – ce qui représentait, en 2005, une « cagnotte » de 15 millions d’euros par an pour l'État français (Antoine Math, Taxer les étrangers: des cotisations sans prestations », Plein droit N° 67, déc. 2005) – c’est le statut juridique même de l’étudiant étranger qui est en cause.




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