mardi 18 janvier 2011

La biométrie en prison, un luxe?

Combien coûtent la biométrie et le bracelet électronique? La Cour des comptes s'est penchée sur le "service public pénitentiaire" dans un rapport de juillet 2010 (sous-titré « Prévenir la récidive, gérer la vie carcérale »).

20 millions d'euros de sécurisation des prisons, pour quelques dizaines d'évadés par an

La biométrie est d'abord évoquée sous la rubrique "sécurisation des établissements pénitentiaires": en 2007, près de 20 millions d'euros étaient consacrée à celle-ci. Or, sur ce montant, la part allouée aux dépenses d'investissement a augmentée de près de 75% par rapport à 2007, tandis qu'au contraire les dépenses d'activité ont baissées de plus de 20%. On ne sera pas surpris qu'une grande part des dépenses d'investissement ait trait aux "équipements de sécurité opérationnelle", parmi lesquels la Cour cite en particulier (p.28, II, A):
la poursuite de l’installation des tunnels d’inspection à rayons X à l’entrée des établissements, le brouillage des téléphones portables, l’installation de dispositifs de reconnaissance biométrique afin de lutter contre les évasions par substitution dans le cadre des parloirs et le recours à la vidéosurveillance dans une trentaine d’établissements pénitentiaires pour contrôler l’activité des cours de promenades (opérations lancées suite aux préconisations de la commission nationale de déontologie de la sécurité et du Contrôleur général des lieux de privation de liberté).
Ces crédits, qui excluent bien entendu les dépenses de personnel, "représentent 2 à 3 fois les moyens actuellement dédiés au déploiement du bracelet électronique." Or, le caractère disproportionné du prix des dispositifs biométriques censés faire miracle contre les "évasions par substitution" doit être mis en rapport avec le tableau des évasions (p.35):
 

Tableau 11 : Nombre de personnes évadées
SOUS GARDE PÉNITENTIAIRE
Lieux
2007
2008
2009
Depuis la détention
14
9
37 (dont 18 évadés du centre pénitentiaire de Nouméa)
Lors d’extractions médicales ou de sorties sportives
3
7
4
Depuis des chantiers extérieurs
9
2
19
TOTAL
26
18
60

On remarque qu'en 2009, les évasions de prison concernaient en tout et pour tout 60 détenus ("toutes catégories confondues") ; 42 si on enlève l'évasion de Nouméa. La très grande majorité des évasions concernent en fait les détenus "hors garde pénitentiaire", et en particulier les aménagements de peine.

Les milliers d'euros investis pour les dispositifs biométriques sont-ils vraiment utiles? Autant de dépenses perdues pour le personnel, comme toujours lorsqu'il s'agit de "remplacer l'homme par la machine". En outre, la séparation du budget en "dépenses d'infrastructure" et "dépenses de personnel" ne permet pas de se faire une idée précise du coût des dispositifs biométriques: contrairement à ce qu'on pourrait penser, en fait l'installation de dispositifs biométriques ne se résume pas à une automatisation ordinaire. Ces machines doivent en effet être surveillées par des hommes afin de s'assurer qu'elles fonctionnent bien, comme l'a rappelé le National Research Council aux Etats-Unis, dans son rapport de septembre 2010, Biometric Recognition: Challenges and Opportunities.

La CNIL notait d'ailleurs ce point lorsqu'elle a examiné, en décembre 2009, le projet de décret sur le fichier BIOAP (décret relatif à l'identification des personnes écrouées dans les établissements pénitentiaires), qui instaurait la biométrie dans les prisons par l'utilisation d'un procédé de reconnaissance géométrique de la main - oui, le même qui est utilisé sur vos chers bambins lorsqu'ils ont le bonheur d'être dans une école ayant instauré ces machines dans les cantines!
Lors de la vérification de l’identité de la personne écrouée à une borne de contrôle, celle-ci présente sa carte personnelle encodée du numéro d’écrou. A partir du numéro d’écrou encodé et imprimé sur la carte personnelle, une transmission des données se fait, depuis la base de données installée sur le serveur local vers les bornes de contrôle. Un écran de contrôle permet une première vérification visuelle par un surveillant via l’affichage du nom du détenu, de son prénom, de son numéro d’écrou et, selon le dispositif mis en place, de sa photographie. Un message apparaît sur l’écran de la borne, signalant que le lecteur biométrique est prêt à prendre le gabarit de la main de la personne écrouée.

Une fois ce gabarit saisi, l’application le compare avec celui qui a été enregistré dans la base de données. Si les deux sont identiques, un message de validation de l’identité s’affiche. Dans le cas contraire, le surveillant est alerté d’un problème sur l’identification de la personne écrouée. Après avoir répété la procédure et si celle-ci reste infructueuse, la personne écrouée est conduite au greffe de l’établissement qui a initialement procédé à la prise d’empreinte digitale par encre de l’index gauche prise au moment de l’incarcération et renseignée au registre d’écrou dans le volet identité de la personne écrouée.

Si l’empreinte digitale ne concorde pas, l’usurpation est avérée. Si elle concorde, le greffe procède au nouvel enrôlement de l’empreinte palmaire de la personne écrouée dans le logiciel.

Enfin, pour les personnes ne pouvant pas utiliser le système de biométrie palmaire pour différentes raisons (handicap, maladie,…) le contrôle se fait par l’apposition d’un cachet imprégné d’une encre sensible aux rayons ultraviolets.

Sur ces 42 évadés (18 en 2008 et 26 en 2007), combien se sont fait la belle en se faisant passer pour un autre? La Cour des comptes reste muette sur ce sujet.

En fait, si les dispositifs de reconnaissance biométrique sont présentés comme moyens de sécurisation, visant à empêcher des "évasions par substitution" sur lesquelles nous ne disposons d'aucun chiffre, ceux-ci visent également - voire surtout? - à répondre à d'autres problèmes. Ainsi, s'intéressant à la question des cantines et de l'alimentation, le rapport évoque un moyen d'économiser quelques euros :
Pour réduire cette charge sur les effectifs de surveillance, des solutions alternatives à la distribution en cellule ont été mises en place : c’est le cas notamment au CD d’Argentan, établissement dans lequel les détenus circulent au moyen de cartes nominatives et doivent venir retirer les produits qu’ils ont commandés à un guichet de distribution aménagé en magasin.
L'usage de cartes nominatives - biométriques ou non - est ainsi utilisé pour faciliter la circulation des détenus au sein de la prison et réduire les charges d'escortes. En d'autres termes, l'objectif est budgétaire davantage que "sécuritaire" - même si, en prison, ces deux rubriques sont difficilement dissociables. La CNIL, pourtant, n'évalue ce dispositif qu'en fonction de l'objectif de "lutte contre les tentatives d'évasion par substitution". Non seulement elle s'abstient de tout examen concernant le nombre réel d'évasions par substitution, examen qu'on pourrait attendre lorsqu'il s'agit d'évaluer la proportionnalité d'un dispositif fichant l'ensemble des détenus, mais elle passe sous silence l'objectif budgétaire et gestionnaire, pourtant affiché clairement par la Cour des comptes. Celle-ci, en retour, s'abstient de comparer les dépenses d'investissement liées à la mise en place de BIOAP (cartes à puce, lecteurs, logiciel et infrastructure informatique) avec les gains espérés côté escortes, ce qui est d'autant plus problématique que la biométrie, précisément, ne permet pas de se passer d'une présence humaine.

Le bracelet électronique, ou la prison hors-les-murs
En France, tous les agents de probation, tous les juges d'application des peines vous diront qu'au-delà de quatre ou six mois la surveillance fixe devient pratiquement ingérable. La surveillance mobile, c'est encore pire, puisque vous avez les barreaux dans la tête. Vous devez vous autodiscipliner, respecter des horaires, vivre dans ce stress permanent de l'alarme qui se déclenche si vous rentrez avec une minute de retard, respecter les zones d'exclusion. J'ai entendu des condamnés à la surveillance électronique dire: «J'en ai marre, je préfère retourner en prison.» C'est très lourd à porter psychologiquement, beaucoup plus lourd que l'enfermement…

au-delà de six mois, un an, deux au maximum, la personne ne tient plus. La nature humaine est ainsi, on ne peut pas rester sous surveillance en permanence, avec le risque constant d'enfreindre ses obligations. Psychologiquement, le condamné ne peut plus se soumettre. Ce n'est pas une question de souffrance ou de torture morale, nous ne sommes pas sur ce registre, mais de capacité, pour un individu normalement constitué, à supporter sa situation.

Georges Fenech, député UMP, auteur d'un rapport, en 2005, sur le bracelet électronique, L'Express, 9 février 2006

L'autre grand chantier technologique proche de la biométrie, c'est le placement sous surveillance électronique mobile (PSE), instauré par la loi du 19 décembre 1997. Multiplié par six depuis 2005 (passant de 709 bracelets activés au 1er janvier 2005 à 4 489 au 1er janvier 2010), celui-ci vise officiellement à répondre à la surpopulation carcérale, effet d'une politique de plus en plus répressive, qui confond soins de santé et incarcération en envoyant des milliers de toxicomanes (toute catégorie confondue, la "consommation excessive d'alcool" concernant plus d'un tiers des entrants en prison) ou de schizophrènes (plus de 7% de la population carcérale) en prison, sans compter les détenus qui ont le seul tort d'avoir été en infraction à la législation sur les étrangers 1. Ainsi, la loi d’orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) du 9 septembre 2002 avait prévu la construction de 13 200 "places", ce qui doit faire passer les capacités de détention de nos accueillantes prisons à 64 000 places en 2015.
Il reste que les projections de la population carcérale conduisent à un écart d’environ 11 500 places entre la capacité opérationnelle des établissements pénitentiaires et le nombre de détenus prévus à l’horizon 2013, soit 72 700 personnes. (...) Face à ces projections, la loi pénitentiaire mise sur le développement sensible des aménagements de peine, notamment du placement sous surveillance électronique. Le ministère de la justice espère ainsi doubler d’ici trois ans le nombre de personnes écrouées « non-hébergées », pour atteindre un total de 12 700 personnes au 1er janvier 2013 (contre 5 111 au 1er janvier 2010).
Notons d'abord le syntagme personnes écrouées « non-hébergées » : les individus assujettis au placement sous surveillance électronique sont bien considérés, par l'Etat, comme des taulards. Au cas où quelqu'un douterait de la finalité du bracelet électronique... il s'agit bien de substituer à la peine carcérale une autre peine, moins chère à mettre en œuvre, mais qui doit revêtir exactement la même signification disciplinaire. Comme l'écrit l'association Ban Public, "les pays qui utilisent ce procédé ne réduisent pas la surpopulation carcérale et se contentent d’étendre le champ du contrôle social". Hors les murs, la prison!

C'est ce qu'on appelle le "développement de régimes de sécurité différenciés" : l'administration pénitentiaire distingue en effet 5 types d'"établissement pour peine" :
les « maisons centrales à sécurité passive renforcée » pour les détenus à forts risques d’évasion ou susceptibles de très grandes violences, les « maisons centrales à sécurité passive moindre », les « centres de détention contraints » dotés d’équipements de sécurité périmétrique renforcés (miradors, mur d’enceinte, filins anti-hélicoptères, surveillance caméra,...) et proposant des régimes différenciés, les centres pour peines aménagées et les centres de semi-liberté.
Cette liste oublie donc de mentionner le 6e "établissement pour peine", qu'on pourra appeler "centre de demi-liberté" - notez la nuance avec les "centres de semi-liberté" - et que le jargon appelle "placement sous surveillance électronique", en vernaculaire "bracelet électronique". Ces "régimes de sécurité" correspondent à l'individualisation du détenu-condamné, celui-ci étant jaugé en "fonction de la personnalité, de la santé, de la dangerosité (sic) et des efforts des détenus en matière de réinsertion".

L'individualisation est ainsi le leitmotiv de la politique pénitentiaire; pourtant, la Cour des comptes note que pour des raisons de budget, on n'a jamais réactualisé l'étude épidémiologique de l'INSERM de 2006, portant sur l’état de santé psychiatrique des détenus à leur entrée en prison. Celle-ci avait montré que "35% des détenus interrogés dans ce cadre étaient considérés à l’époque comme manifestement ou gravement malades" - chiffre qu'il faut multiplier après quelques temps en prison, puisque "l’incarcération elle-même génère ou augmente certains risques (isolement affectif, promiscuité, inactivité…)"2. On prétend ainsi évaluer la "dangerosité" des détenus et leur état de santé, tout en s'abstenant d'études psychiatriques sérieuses...

Quoi qu'il en soit, la Cour des comptes critique le "biais technologique" en faveur du bracelet électronique, en notant:
Dans ce contexte, la mission RGPP [Révision générale des politiques publiques] a considéré qu’il fallait « maximiser l’emploi des nouvelles technologies (bracelets électroniques) chaque fois qu’il était justifié », dans la mesure où il présentait l’intérêt, d’une part, de dégager des marges d’économies conséquentes (évaluées à plus de 60 € par jour et par personne placée) par rapport au coût de la détention, d’autre part, d’épargner à l’administration pénitentiaire la construction de nouvelles places de prison.

Le choix effectué par la mission RGPP en faveur du placement sous surveillance électronique (PSE) présente cependant un biais puisqu’il exclut du raisonnement les gains tout aussi substantiels qu’auraient pu générer d’autres dispositifs d’aménagement de peine (tels que les libérations conditionnelles), et ce d’autant plus que, selon le Conseil de l’Europe, la libération conditionnelle serait l’une des mesures les plus efficaces pour prévenir la récidive et favoriser la réinsertion sociale. Par ailleurs, il aurait été souhaitable de tenir compte dans cette orientation du profil des 10 000 à 12 000 personnes supplémentaires « à aménager », afin de vérifier que le PSE est adapté au public visé. La mission RGPP n’a cependant produit aucune analyse de ce type en 2007 afin de corroborer son postulat « technologique » en faveur du PSE.
Il s'agit ici d'une constante qu'on retrouve bien ailleurs, nos sociétés semblant être affectées d'un "biais technologique" permanent les amenant à préférer l'usage des technologies les plus perfectionnées au détriment de la re-conception des missions d'accompagnement et d'usage du personnel. Ce biais s'explique sans doute par une idéologie générale du progrès, mais aussi et surtout par l'importance des enjeux économiques.  

Critiqué par la Cour des comptes, ce biais est cependant au cœur même de la politique de "prévention de la récidive". Présentant celle-ci, la Cour écrit en effet:
La prévention de la récidive s’articule autour de trois logiques : éviter ou atténuer les effets désocialisants de l’emprisonnement à travers le développement de mesures alternatives à l’incarcération, préparer activement la sortie et la réinsertion des personnes placées sous main de justice, et enfin surveiller les personnes qui présentent un danger pour la société au terme de leur peine
Autrement dit, il s'agit de garder la prison (fonction de surveillance) en supprimant ses effets délétères ("désocialisation", euphémisme pour parler de "criminalisation", c'est-à-dire de socialisation dans le "milieu"). Or, qu'y a-t-il de mieux que le bracelet électronique pour surveiller de près les individus jugés "dangereux"?

Rappelons-nous des propos du garde des Sceaux, Pascal Clément, lors des débats sur la loi sur la "rétention de sûreté", qui avait fait dire à Robert Badinter: "Les fondements de notre justice sont atteints. Que devient la présomption d'innocence, quand on est le présumé coupable potentiel d'un crime virtuel?" Primé aux Big Brothers Awards, Clément affirmait ainsi, sur France Inter
Toute personne qui sera condamnée aujourd'hui ou hier, le jour où elle sortira de prison, pourra avoir un suivi socio-judiciaire, pourra avoir un bracelet électronique relié au GPS, c'est ça l'idée. Les nouvelles lois s'appliqueront au stock de détenus actuels et ne seront pas valables pour le futur mais pour le passé. Il y a un risque d'inconstitutionnalité, je le cours et tous les parlementaires pourront le courir avec moi, il suffira pour eux de ne pas saisir le Conseil constitutionnel. Et ceux qui le saisiront prendront sans doute la responsabilité d'empêcher la nouvelle loi de s'appliquer au stock de détenus. C'est une proposition que j'offre au Parlement, d'abord il faudra que le Parlement me suive et je le répète il n'y aura aucune conséquence constitutionnelle si le Conseil n'est pas saisi...  Si en revanche les parlementaires saisissent le Conseil constitutionnel il y aura risque d'inconstitutionnalité mais ils prendront leurs responsabilités politique et humaine.
Passons ici sur la violation du principe de non-rétroactivité de la loi et le mépris affiché face à la Constitution, qui avait conduit le juriste Dominique Rousseau à écrire une tribune cinglante sur l'hyperactivisme du président Sarkozy, pour qui la Constitution était une gêne et l'inconstitutionnalité "un risque" à prendre... attitude historique de l'exécutif, puisque De Gaulle, déjà, lors du déjeuner donné à la fin du mandat de Léon Noël, premier président du Conseil constitutionnel, déclarait : "Le droit, nous ne pouvions entre nous que le constater, mais au-dessus du droit, il y a l'intérêt général." (Schnapper, 2010, p.100). Passons aussi sur la version expurgée des propos de Clément présentée sur Viepublique.fr.

Ce qui importe ici, c'est la présentation du bracelet électronique relié au GPS, ce qui permet la "tenue d’un journal quotidien des déplacements des personnes", d'ailleurs sous-traitée au privé (CNIL, délib. n°2007-109), comme le moyen pour gérer le "stock de détenus". Et oui, le "stock" dépasse le nombre de places de prison que de grands constructeurs ayant investi dans la télévision peuvent construire, et coûte bien trop cher à la République. L'hyper-répression, et la logique proactive de la surveillance des infractions à venir, ça paie peut-être au niveau électoral, mais ça coûte cher au contribuable... Aucun rapport, bien entendu, avec la réforme des retraites. Revenons à ce "journal quotidien": les données concernant le déplacement "seront conservées pendant une durée de 10 ans à compter de la fin de la mesure de placement sous surveillance électronique mobile."

Aménagements de peine, libération conditionnelle, rétention de sûreté... Le bracelet électronique, c'est l'avenir! Ainsi, pour éviter les effets criminogènes de la prison, les prévenus condamnés à des peines de moins d'un an d'emprisonnement peuvent bénéficier d'un aménagement de peine et du privilège de goûter à ces nouvelles technologies (la Cour des comptes évoque les peines de moins d'"un an", p.129, mais le Code pénal celles de moins de deux ans, un an en cas de récidive: art. 132-26-1).  Le PSE (placement sous surveillance électronique) comporte notamment "l'interdiction [pour le condamné] de s'absenter de son domicile ou de tout autre lieu désigné par le juge de l'application des peines en dehors des périodes fixées par celui-ci".

Les sujets en surveillance judiciaire, en libération conditionnelle ou en suivi socio-judiciaire (mesure de surveillance qui s'exerce après que la durée de la peine prononcée ait été dépassée, cf. art. 131-36-9 sq. du Code pénal) profiteront également de ce progrès technologique. De même que les personnes jugées coupables de violences conjugales, depuis la loi du 9 juillet 2010 (cf. Vos Papiers!, Le fichage, arme contre le viol?)

Dans le cas du suivi socio-judiciaire, on parle de PSEM (placement sous surveillance électronique mobile, le fameux bracelet avec GPS). Le fichier des déplacements étant conservé 10 ans et le "suivi" pouvant s'exercer, comme le rappelait Me Eolas, jusqu'à 20 ans après la condamnation, cela signifie que les individus "dangereux" resteront sous le regard de l'Etat pendant 30 ans à compter de cette dernière. L'espérance de vie actuelle, en France, étant entre 77 et 82 ans, et d'environ 79 ans pour un individu de 40 ans, cela signifie qu'un condamné de cet âge, assujetti à cette mesure, restera sous "étroite surveillance" jusqu'à ses 70 ans, neuf ans avant sa "mort statistique"...

Et ce n'est pas tout, puisque Thierry Mariani, qui avait défrayé la chronique en proposant d'introduire le test ADN en matière de regroupement familial, a introduit en octobre 2010 un amendement à la loi Besson sur l'immigration (art. 33), qui, pour répondre aux nombreuses critiques contre l'enfermement des enfants dans les centres de rétention administratifs (CRA) avec leurs parents sans-papiers (318 enfants enfermés en 2009), proposait d'adjoindre à l'assignation à résidence, qui peut être prononcée "à titre probatoire et exceptionnel" (art. L523-5 CESEDA), un bracelet électronique.

Le député UMP Etienne Pinte, qui avait déjà protesté contre l'expulsion par charter des réfugiés afghans,  s'est allié avec la gauche pour tenter, sans succès, de supprimer cet amendement. Il déclarait ainsi :  
Si le bracelet électronique peut être envisagé dans le cadre d’une libération conditionnelle, je suis choqué qu’il puisse l’être dans le cadre de la rétention administrative pour des personnes susceptibles d’être placées en assignation à résidence.
Mais ce ne sont là que scrupules d'un bon catholique. La surveillance électronique, c'est la panacée, vous dis-je! Au Brésil, un sénateur, qui avait vu que cela se pratiquait en France (quoique avec un succès mitigé), a proposé, fin 2010, d'imposer le bracelet aux nouveaux-nés pour "lutter contre le kidnapping"... et qu'importe si dans la localité en question, Campinas, aucun cas de kidnapping de bébé n'a eu lieu les dix dernières années. Pure coïncidence, bien sûr, si Campinas, comté de São Paulo, est aussi la Silicon Valley du Brésil : le lobbying commercial n'a bien sûr rien à voir avec cette loi qui vient d'être votée.

On utilise aussi ce bracelet pour les patients atteint d'Alzheimer, et pour surveiller les salariés chargés d'eux, comme le notait la CNIL en juillet 2010 (ce qui devrait faire réfléchir les agents de l'Etat chargés de la surveillance de ces individus "dangereux": il s pourrait bien que le bracelet soit également utilisé pour les surveiller, eux!) ... La généralisation de ce bijou technologique faisait dire au président de la CNIL, Alex Türk, que "le double traçage dans le temps et dans l'espace" qu'il permettait constituait "en matière de liberté individuelle, l'une des évolutions les plus dangereuses de nos sociétés". De là à considérer que les condamnés ayant purgé leur peine ont droit, eux aussi, au respect de leur liberté individuelle... Il manquerait plus que la CNIL "se range du côté des assassins", comme le dirait Nadine Morano! 

Revenons à nos détenus... Parmi les diverses mesures d'aménagement de peine (semi-liberté, placement extérieur et surveillance électronique mobile), c'est cette dernière qui est en plus grande augmentation (cf. tableau ci-dessous, qui ne prend en compte que les mesures effectives et non l'ensemble des mesures prononcées par les juges d'application des peines et non mise en œuvre faute de moyens).     



Date :

Au 1er janvier


PSE
(Placement sous surveillance électronique)

PE
(Placement extérieur)

SL
(Semi-liberté)

Total des aménagements de peine sous écrou

2002
23
533
910
1466
2003
90
483
1201
1774
2004
304
512
1225
2041
2005
709
505
1189
2403
2006
871
525
1221
2617
2007
1648
705
1339
3692
2008
2506
805
1632
4943
2009
3431
872
1643
5946
2010
4489
1138
1665
7292
Variation 2002/ 2010
x 195
114,00%
83,00%
397,00%
Variation 2005/ 2010
533,00%
125,00%
40,00%
203,00%

Malgré ces "progrès" indéniables, avec moins de 4 500 condamnés sous PSE, la France reste loin derrière le Royaume-Uni, où plus de 20 000 adolescents portent un bracelet, avec une efficacité contestable, notait Jean-Marc Manach. 

Un nouveau logiciel, l'application GENESIS (Gestion nationale des personnes écrouées pour le suivi individualisé et la sécurité), doit permettre d'affiner ces mesures statistiques, en remplaçant le fichier national des détenus et l'application GIDE (Gestion informatisée des Détenus en Etablissement - les bureaucrates ont de l'humour ! au moins, ils ne censureront pas ce grand écrivain comme l'a fait l'Etat-prison du Texas... en 1984, un fichier GIDE avait aussi été créé, mais il s'agissait alors de Gestion informatisée des Demandeurs d'Emploi...). Le développement exponentiel du bracelet électronique vaut bien d'investir un peu plus dans ses fichiers, pour suivre toutes ces personnes "dangereuses"!


1. Selon un rapport parlementaire de 2009, "un quart des détenus est aujourd’hui atteint de troubles psychotiques, au nombre desquels on trouve la schizophrénie. Cette dernière touche 7,3 % de la population carcérale française, soit environ huit fois plus qu’en population générale", et "16 % des détenus ont été hospitalisés pour raisons psychiatriques avant leur incarcération." 

Par ailleurs,  le "coût social de l'alcool" était estimé, en France (11e rang mondial pour sa consommation), à plus de 37 milliards d'euros en 2000, selon des estimations qui "ne tiennent pas compte des crimes et délits commis sous l'emprise de l'alcool et peuvent donc être considérées comme une estimation basse. À titre de comparaison, les mêmes estimations conduisent à un coût social du tabac approchant les 48 milliards d’euros et un coût social des drogues illicites inférieur à 3 milliards d’euros." Si 1/3 des "entrants" déclarent une "consommation excessive d'alcool","7 % à 8 % des entrants [souffrent] d’une addiction à l’héroïne ou à la cocaïne. De manière générale, environ 6,5 % des entrants en prison déclarent avoir consommé une drogue par voie intraveineuse au moins une fois au cours de leur vie." (Rapport d'information de juillet 2009 sur "la prise en charge sanitaire, psychologique et psychiatrique des personnes majeures placées sous main de justice," présenté par M. Etienne Blanc). 

Enfin, dans son avis de 2004 sur la situation des étrangers en prison, la CNCDH (Commission nationale consultative sur les droits de l'homme) soulignait que "l’incarcération des étrangers pour la seule infraction de défaut de titre de séjour... [reste] une question entière qui interroge les fondements philosophiques de la sanction pénale mais aussi le respect des libertés fondamentales" . Elle citait le rapport du Sénat de juin 2000 sur les prisons, qui considérait « que la plus grande part de cette population n’avait rien à faire dans nos prisons, à l’exception naturellement de ceux qui sont condamnés et notamment à de longues peines, comme les terroristes, et que leur incarcération contribuait à aggraver la surpopulation pénale et les conditions de détention ». Dans les diverses statistiques concernant le nombre d'étrangers en prison, il ne faut pas oublier que celles-ci ne prennent en compte que les établissement pénitentiaires proprement dits, et non les centres de rétention administrative (CRA), qui se multiplient également.



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Dominique Schnapper, 2010, Une sociologue au Conseil constitutionnel, Gallimard Nrf.  

«Le projet de loi Besson va plus loin dans l'arbitraire», entretien avec Sandrine Mazetier, Le Figaro, 28 septembre 2010

Plus de 300 enfants ont été placés en centre de rétention en 2009, Libération, 6 octobre 2010

Quand le bracelet électronique pour personnes âgées surveille aussi les salariés, CNIL, 7 juillet 2010

Campinas (SP) aprova projeto para pulseira antissequestro de bebês em maternidades, Folha de São Paulo, 13 mai 2010


Jean-Marc Manach, 20 000 ados sous surveillance électronique, Bug Brother, blog hébergé par Le Monde, 15 décembre 2009

Robert Badinter dénonce "une période sombre pour notre justice, Nouvel Obs, 13 juin 2008

Nadine Morano accuse le PS "de se ranger du côté des assassins", Nouvel Obs, 13 juin 2008

Number of criminals ripping off electronic tags has soared, Daily Mail, 7 avril 2008

Le bracelet électronique sur le site prison.eu.org, association Ban Public.

Gagnant Orwell 2006, Pascal Clément, garde des Sceaux

CNIL, Délibération n°2009-684 du 3 décembre 2009 portant avis sur un projet de décret en Conseil d’Etat portant création de traitements automatisés de données à caractère personnel relatifs à l’identification des personnes écrouées dans les établissements pénitentiaires, dénommés « BIOAP »

CNIL, délib. n°84-12 du 20 mars 1984 sur le fichier GIDE (Gestion informatisée des demandeurs d'emploi)

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