vendredi 29 octobre 2010

La SNCF et le signalement ethnico-racial

 En pleine polémique sur le "fichier MENS", en fait une dénomination ("minorité ethnique non sédentarisée") utilisée par la gendarmerie dans plusieurs fichiers pour permettre une surveillance ciblée des Roms, la SNCF n'a pas hésité à proposer à ses contrôleurs marseillais une fiche utilisant des critères ethniques afin de "faciliter le travail de la police".

Suite à l'alerte lancée par le quotidien régional La Marseillaise le 27 octobre, la SNCF a fait marche arrière deux jours plus tard. C'est l'occasion de s'interroger sur ce type de signalement ethnico-racial utilisé à des finalités policières, et, autorisés dans un cadre plus ou moins strict par la CNIL: l'aide qu'il apporterait à l'enquête policière justifie-t-il le coût à payer, notamment en termes de racialisation de la société? Peut-on tolérer le signalement au faciès alors que le contrôle au faciès est interdit?

Le fichage ethnico-racial de la SNCF

De quoi s'agissait-il? Rien de moins que de faire cocher aux victimes d'agressions des cases, sur une "fiche de signalement" diffusée par les contrôleurs de train de Marseille. Celles-là laissaient le choix entre sept faciès faisant allusion à l'origine géographique ou/et ethnique : « Européen », « Africain », « Nord Africain », « Asiatique », « Latino-Américain », « Gitan » et « Pays de l’Est ». 

Le formulaire, « Restons acteur de la sûreté », précisait que « ces renseignements seront très précieux en opérationnel » pour la police ferroviaire (SUGE) et la Police nationale « mais également pour le suivi de l’enquête ». Bref, les contrôleurs sont enrôlés dans les opérations de police. 

Cette intégration va de pair le type d'opération de fichage ethnique déjà pratiqué par la gendarmerie, mais aussi par la police, puisque la CNIL autorise ce type de signalement "ethnique" "que" lorsqu'il s'agit de fichiers d'enquête policière, tels le STIC, et à condition qu'ils soient autorisés par un décret en Conseil d'Etat. Ce, à des fins de recherche et d'identification. On s'étonnera, comme le journaliste David Coquille, que malgré cette finalité avouée, la fiche destinée aux contrôleurs ne mentionnait comme âge qu' "enfant" ou "adulte", ce qui est pour le moins imprécis.

La SNCF a bien évidemment fait marche arrière : ce genre de fichage est tout simplement interdit, sauf lorsqu'il est mis en œuvre à des finalités d'"ordre public", lesquelles permettent de s'exonérer de l'interdiction de récolter des données sensibles, comme on l'avait vu à l'occasion du débat virulent suscité par l'introduction d'EDVIGE.

Suscité par les révélations de La Marseillaise, reprises par une partie de la presse nationale (Le Point, Le Parisien, Bakchich, RMC; mais aucun des grands quotidiens nationaux), ce recul n'est donc pas un "geste de bonne volonté", mais un retour à la légalité.

Ce n'est pas la première fois que la direction déraille: en février, Rue 89 indiquait que des contrôleurs avaient diffusé une annonce du type « On nous signale la présence suspecte de trois petites Gitanes dans le train. Nous vous demandons de faire très attention à vos bagages. » Cette dérive est d'autant plus grave que le quotidien de Marseille précise aujourd'hui:
Contredisant la SNCF, une haute source policière qui requérait l’anonymat (décidément), indiquait que « cette fiche classique de signalement à usage policier » avait été conçue « à la demande de la SNCF » et qu’on « utilisait à la RTM aussi bien qu’à la RATP », cela dans un « cadre légal » qui permet un partage d’informations et de fichiers.
En d'autres termes, tant la SNCF que la Régie des transports marseillais ou la RATP pratiquerait ce genre de signalement, dont le cadre légal est plus que contestable, puisque, répétons-le, tout traitement de données incluant des données sensibles doit faire l'objet d'un décret en Conseil d'Etat. Il faut s'interroger sur cette tendance à se mettre hors-la-loi sous le prétexte de "faciliter le travail de la police" et de "protéger les victimes".

Le signalement du "type géographique" : un moyen de racialisation

Au-delà du caractère illégal de ces actes, se pose la question des effets d'une telle classification. Celle-ci est légitimée, par la CNIL elle-même, au nom de la recherche d'"individus suspects". Il faut bien, dira-t-on, que la police fasse son travail... ce qui n'implique pas que les contrôleurs de transport ne deviennent policiers, sauf à transférer le contrôle des billets au ministère de l'Intérieur.

Néanmoins, l'usage de catégories comme celles-ci est problématique. En l'espèce, la SNCF proposait: « Européen », « Africain », « Nord Africain », « Asiatique », « Latino-Américain », « Gitan » et « Pays de l’Est ». Mais toutes sortes de combinaisons sont possibles, comme l'ont montré les débats incessants des raciologues à la fin du XIXe siècle et jusqu'à 1945. Comme le montre, également, la variation des critères de "race" utilisés aux Etats-Unis dans le recensement démographique. 

Le problème n'est pas le caractère nécessairement dénué d'objectivité de ce classement: il tient aussi aux effets bien réels de stigmatisation et de classification que l'usage de ces types entretient chez les usagers. En d'autres termes, lorsque la police, ou la SNCF, propose ce genre de signalement à ses agents et aux victimes d'actes délictueux, elle contribue à construire ce type de classification raciale tant chez les fonctionnaires que chez les victimes. 

En d'autres termes, la CNIL peut bien prétendre qu'il s'agirait là d'une nécessité du "travail de flic", tout comme la SNCF affirmer qu'elle ne fait que là "simplifier le travail de la police" et la "protection des victimes": ces fiches de signalement contribue à la racialisation de la population, c'est-à-dire à la transformation du concept de "race" en catégorie opératoire de discrimination sociale.

Et ce, de façon immédiate: nul besoin d'être grand clerc pour se douter qu'un signalement établi selon différents types géographiques de "faciès" va conduire à des contrôles au faciès, fussent-ils interdits, et donc à une pratique discriminatoire pouvant elle-même susciter des réactions de violence, dont se plaint régulièrement la police (preuve en est des augmentations de verbalisation pour "outrage à agent public").

L'adjonction de la catégorie "Gitan", à côté d' "Européen", d' "Africain", de "Nord-Africain", etc., montre l'importance de cette construction sociale. Alors que les gitans sont sédentarisés depuis plusieurs siècles dans les Etats où ils résident actuellement, comme le rappelait l'historienne Henriette Asséo, on fait comme s'il y avait un continent "gitan", à côté de l'Europe, de l'Afrique ou de l'Amérique latine. De même, on sépare "Africain" et "Nord-Africain": simple précaution qui vise à éviter de dire "Noir" ou "Arabe". 

Alors qu'un ministère a été créé pour gérer l'"Identité nationale", on contribue ainsi à forger d'autres identités collectives: les "Sud-Américains", péjorativement appelés Chudakas en Espagne; les "Jaunes", euphémisés en "Asiatiques", etc. On fait ainsi abstraction de tout ce qui sépare un Argentin, fils ou petit-fils d'immigré italien - et qu'une "victime" classifierait ainsi volontiers comme "Européen" - d'un Argentin issu des peuples autochtones présents sur le continent avant la colonisation. On ignore ce qui sépare un Indien d'un Chinois, un Vietnamien d'un Russe... bref, toutes ces catégories superficielles, qui ne visent que la couleur de la peau et les stéréotypes liant cette couleur à une origine géographique, renforcent ces stéréotypes. Au risque, du reste, de malentendus entre la police et les victimes: un Français capable de reconnaître l'accent idiosyncratique d'un Argentin (Che!), le classerait-il pour la police comme "Sud-Américain", quand bien même il aurait l'apparence d'un Suédois ? Ou prendrait-il conscience que selon des stéréotypes largement en vigueur, un blondinet ne pourrait venir d'Amérique latine?  

Pour une évaluation de l'efficacité de tels signalements

Cette nouvelle affaire SNCF, qui fait immanquablement surgir "de très vieilles ombres", pour reprendre Patrick Chamoiseau, devrait ainsi conduire la CNIL et le législateur à réfléchir sur le bienfondé de l'utilisation de ces critères ethniques si subjectifs. Comment concilier l'usage de telles catégories venues d'un autre âge avec la modernisation prônée par l'introduction du passeport biométrique et, maintenant, de la carte d'identité biométrique?  Sans compter la vidéosurveillance: on lit sur la fiche "la SUGE récupère plus rapidement la vidéo grâce au numéro de la rame". En quoi ces signalements facilitent-ils véritablement le travail de la police? Et, si une étude d'impact sérieuse venait à soutenir cette thèse, cela vaut-il pour autant le coût à payer en termes de racialisation et de discrimination sociale ? Alors même qu'on prend de plus en plus conscience des effets néfastes et à long terme que comportent les contrôles aux faciès?

Enfin, au vu de cette tentative maladroite, ne doit-on pas craindre qu'autoriser certains services de l'Etat à mettre en œuvre de tels signalements ethnico-raciaux conduise à les légitimer de façon générale ? Quitte à ce que la SNCF sorte du cadre légal qui lui est propre et que sa direction ne comprenne même pas ce qui, pour elle, ne constitue sans doute qu'un "émoi des défenseurs des droits de l'homme"?

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dimanche 24 octobre 2010

Le fichage, arme contre le viol?

Omniprésent dans les médias, le viol l'est aussi devant les tribunaux. Avec 1 684 condamnations en France en 2008, les viols représentent près de la moitié des crimes jugés aux Assises, devant les homicides, en baisse depuis les années 1980. Une étude sociologique de Véronique Le Goaziou et Laurent Muchielli souligne toutefois le gouffre entre les faits et leur perception médiatico-judiciaire.

A partir de celle-ci, on verra que le FNAEG (Fichier national automatisé des empreintes génitales) sert à retrouver les auteurs de viol que lorsqu'ils ne connaissent pas leurs victimes, cas qui ne représente qu'un quart des affaires jugées et une proportion encore inférieure des cas de viol: les "viols conjugaux", notamment, échappent souvent à toute poursuite, alors même qu'ils touchent toutes les catégories sociales. 

Ceci conduit à relativiser fortement l'argument selon lequel le fichage des "délinquants", y compris pour de simples délits, permettrait ensuite de résoudre les crimes les plus graves. Lutter contre le viol passe d'abord par le soutien, notamment budgétaire, aux services médico-sociaux et par la prévention de l'alcoolisme, mais aussi par la conscience des limites de cette politique et la prise en compte de la détresse économique et sociale qui affecte les personnes ayant vécu une "enfance difficile". Cela exige aussi de prendre en compte l'omniprésence des violences conjugales, présentes dans tous les milieux.
 
Les viols commis par des proches représentent plus de la moitié des affaires jugées

Cette étude de 4 pages renverse plusieurs clichés, et notamment celui-ci: les viols collectifs ("tournantes") et les viols commis par des inconnus seraient les plus courants. Analysant un corpus judiciaire d'environ 400 affaires, les auteurs établissent une typologie en 5 catégories:
  • les viols intrafamiliaux « élargis » (196 affaires, 47 % du total);
  • les viols conjugaux (19 affaires, 4 % du total);
  • les autres viols de forte connaissance (72 affaires, 17 % du total);
  • les viols collectifs (23 affaires, 5 %): c'est la seule catégorie caractérisée par la forme d'agression plutôt que par la relation de connaissance entre auteurs et victimes;
  • les viols de faible connaissance et les viols commis par des inconnus (115 affaires, 27 % du total)  
Les viols familiaux (les deux premières catégories) représentent plus de la moitié des affaires jugées. Loin, donc, des clichés des séries policières. Si on ajoute à cela les viols de "forte connaissance" (relations amicales, de travail ou de voisinage), on arrive à plus de 60% des affaires. Les viols sur lesquels les médias insistent le plus, "tournantes" et viols commis par des inconnus, concernent en réalité un nombre réduit d'affaires: seulement 5% pour les viols collectifs, et 1/4 pour les "viols de faible connaissance" ou commis par des inconnus.

Viols en bourgeoisie

Les auteurs mettent toutefois en rapport cette réalité judiciaire avec les enquêtes de victimation (sondages anonymes). Celles-ci montrent que seules 5 à 10% des victimes portent plaintes: "la marge de progression de ce contentieux est [donc] énorme". Mais la surprise de l'étude, c'est de montrer que le viol - comme l'alcoolisme - touche tous les milieux. Vu la "nature humaine", et surtout "masculine" (98% des condamnés sont des hommes), diront certains, cela n'est guère étonnant. Les auteurs concluent :
Si les incestes sont de plus en plus dénoncés, les viols conjugaux résistent en revanche beaucoup plus à la judiciarisation. Cette dernière se révèle par ailleurs très inégale selon les milieux sociaux. Après la fréquence des viols, l’enseignement majeur des enquêtes de victimation est sans doute que cette violence de proximité existe dans tous les milieux sociaux et dans des proportions comparables. Or, l’un des enseignements majeurs de notre recherche sur dossiers judiciaires est aussi que environ 90 % des auteurs de viols jugés sont issus des milieux populaires. En d’autres termes, les viols demeurent surtout dissimulés dans les classes sociales les plus favorisées.
Les viols "intra-familiaux": des affaires de pédophilie peu médiatisées

Lorsqu'il s'agit des viols "intra-familiaux" (47% des affaires), les auteurs n'ont en général pas de casier. Ce type de viol s'insère dans un continuum d'agressions sexuelles (attouchements, etc.) et dans la durée: l'étude propose de parler d'« abuseur-violeur en série de proximité ». C'est le seul type dans lequel un nombre important de victimes sont masculines (20%), celles-là étant généralement très jeunes.

En bref, c'est la figure du "pédophile", qui a souvent eu une "enfance difficile". Bien sûr, cela ne signifie pas que tous les enfants maltraités ou qui ont été abandonnés deviendraient des "monstres pervers" (sic) ou de nouveaux Gilles de Rais. 

Contrairement aux affaires de pédophilie médiatisées, celles-ci se déroulent en général au sein de la famille "élargie". Rien à voir, donc, avec l'affaire Évrard ou Dutroux, qui entrent dans la 5e catégorie ("faible connaissance" ou inconnus), ou avec les affaires concernant l'Eglise catholique ou la Casa Pia, qui entrent dans la 3e catégorie ("forte connaissance"). 

Les "viols conjugaux", ou la domination masculine
 
Les "viols conjugaux", largement sous-représentés dans les tribunaux (4% des affaires) si on les met en rapport avec les enquêtes de victimation, diffèrent des premiers d'abord par leur logique: ils ne s'insèrent pas dans une suite d'agressions sexuelles, mais de violences conjugales. Le viol conjugal n'est reconnu que depuis 1990, la Cour de cassation ayant entériné l'interprétation d'une cour d'appel selon laquelle si
le consentement au mariage peut faire présumer jusqu’à un certain point, de la part des époux et aussi longtemps qu’ils demeurent mari et femme, leur consentement aux relations sexuelles, il n’en demeure pas moins que cette présomption n’a rien d’irréfragable.
La Cour entérinait ainsi l'évolution entamée dans les années 1970 et concrétisée par la loi de 1980 sur le viol, définissant celui-ci comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ". D'atteinte à l'institution du mariage, ce qu'il était depuis le Code Napoléon, le viol devenait une atteinte à l'intégrité psychique de la victime, le "sexe" ayant été constitué, comme le rappelait déjà Foucault, en "chiffre de l'individualité", "objet du grand soupçon" et "fragment de nuit que chacun porte en soi". Marcela Iacub (2002) écrit ainsi:
les rapports sexuels hors mariage étaient juste tolérés, mais ils étaient sur le fond considérés comme immoraux. Et c'est pour cela qu'ils devaient être "consentis". Le consentement des partenaires ne faisait que, pour ainsi dire, lever la sanction. Ces actes étaient pourtant, en eux-mêmes, des atteintes à l'institution du mariage. Et s'ils n'étaient pas consentis, alors il y avait crime.
Le viol conjugal a aussi été évoqué par Patric Jean dans son documentaire choc La Domination masculine. Il y plaidait en faveur de la thèse d'une continuité entre le sexisme (avec le début sur les jouets de "mecs" et de "filles"), la pornographie, les violences conjugales et le viol.

Si le cinéaste forçait le trait, il est clair que la justice n'a actuellement pas les moyens de répondre à ces viols, beaucoup plus importants qu'il ne le semble. V. Le Goaziou et L. Muchielli ne nous disent pas si les auteurs de viols conjugaux ont déjà été condamnés par le passé.

Ils pourraient l'être, en cas de dénonciation antérieure de violences conjugales (par la victime, des proches ou des voisins), dont la sévérité des peines vient d'être accrue: loi du 4 avril 2006, qui grave dans le marbre législatif la jurisprudence de 1990, et du 9 juillet 2010, qui a notamment introduit le bracelet électronique et vise à faciliter les plaintes en créant l'ordonnance de protection.

Ils pourraient aussi l'être, dans la mesure où si l'alcoolisme - qui touche toutes les classes sociales - est souvent corrélé, vraisemblablement, aux violences domestiques, il l'est aussi à bien d'autres sortes de délits: un rapport parlementaire de 2009 indiquait que l'alcool entrait en jeu dans plus de 2/3 des homicides, dans plus d'1/3 des crimes et délits contre enfants, près d'1/3 des coups mortels et coups et blessures volontaires et plus d'1/4 des crimes et délits sexuels. Tout comme pour l'"enfance difficile", cela n'implique pas que tous les alcooliques se mettent en infraction; en revanche, toutes catégories d'infractions confondues, l'alcool intervient une fois sur cinq... Le rapport souligne:
bien que l’imprégnation alcoolique au moment des faits ne soit pas systématiquement dépistée, il est possible de distinguer:
  • un groupe restreint de sujets qui se caractérise par la fréquence de l’alcoolisation de l’auteur lors des faits et aussi par un mésusage. Dans plus des deux tiers de viols et d’agressions sexuelles sur majeurs, l’auteur est alcoolisé lors des faits et/ou mésusager;
  • un groupe plus hétérogène de sujets présentant un mésusage d’alcool et étant sous l’empire de l’alcool au moment des faits qui rassemble près de 50% des viols et agressions sexuelles sur mineurs et près de 50% des violences entre conjoints;
  • un groupe encore plus hétérogène de sujets présentant un mésusage d’alcool dans un peu plus d’un quart des faits de maltraitance à enfants et étant sous l’empire de l’alcool au moment des faits dans 30% des faits de violences générales. Ainsi, dans respectivement 29% et 30% des cas, les affaires de ces deux contentieux pourraient être considérées comme associées à l’alcool.
Les "viols de forte connaissance" 

La qualité d'ascendant légitime ou de personne ayant autorité représentant une circonstance aggravante, cela facilite la comptabilité. Le fait de créer des infractions spécifiques ("viol conjugal", voire "inceste", etc.), parfois critiqué pour son incohérence juridique, permet en effet surtout d'établir des statistiques et de faciliter le travail des... sociologues! Cela avait été relevé par E. Allain sur le blog Dalloz, qui indiquait toutefois, à propos de la loi sur l'inceste: "le dernier de ces objectifs [affiner les études statistiques sur les violences sur mineurs] n’appelle pas de commentaire particulier si ce n’est qu’il semble une justification bien faible pour introduire une nouvelle qualification pénale." A infraction pénale spécifique, typologie plus fine des "délinquants"...
 
Les viols de "forte connaissance" concernent majoritairement des majeurs, les auteurs ayant en moyenne 28 ans. Ce "type" est constitué de deux catégories :
  • les viols "entre amis", souvent accompagnés, comme dans le cas des viols conjugaux, de violences ; 
  • les viols commis par des ascendants, souvent sur de jeunes garçons (on se rapproche des affaires de la Casa Pia ou de l'Eglise).
On ne saura pas non plus si dans cette catégorie les auteurs ont fait l'objet de condamnations préalables.

Les "viols collectifs" et les viols "de faible connaissance" ou commis par des inconnus: des crimes commis par des "marginaux"

On aborde les catégories les plus médiatisées. Passons rapidement sur les "tournantes", qui ne représentent que 5% des affaires. Auteurs et victimes ont en général dans la vingtaine, et ce type d'affaires arrive autant dans les quartiers populaires que dans les petits villages. La construction du "machisme arabe", qui permet d'instrumentaliser le féminisme à des fins racistes et islamophobes, joue sans aucun doute un rôle majeur dans la focale sur les "cités" plutôt que les villages...

Quant aux viols "de faible connaissance" ou commis par des inconnus, qui représentent 1/4 des affaires jugées (combien des affaires dans les médias?), ils se distinguent entre ceux où victimes et auteurs se sont liés au cours d'une soirée, dans un bar, etc., le viol se commettant souvent à domicile, et ceux entre parfaits inconnus, se déroulant dans la rue ou l'espace public.

Dans les deux cas, les auteurs ont des profils psychosociaux problématiques: les psychiatres évoquent des "pulsions", les auteurs ont eu "une enfance difficile" et ont souvent des problèmes d'accoutumance (alcool ou/et stupéfiants). Les SDF sont sur-représentés (20%), effet probable de la conjonction entre ces facteurs, ajoutée à la misère sexuelle. 80% des hommes avaient déjà des casiers, et dans près de la moitié des cas avaient déjà été condamnés pour agression sexuelle.

Le fichage, un moyen de lutte contre le viol?

Outre le fait que la justice connaît essentiellement des cas concernant les classes populaires, alors que les enquêtes de victimation montre que le viol touche toutes les classes, le discours sécuritaire se concentre sur la dernière catégorie, qui ne représente qu'1/4 des affaires.

On n'en déduira pas que celles-ci ne sont pas importantes. Mais cette étude souligne la faiblesse de l'argument du fichage comme moyen de repérer les "récidivistes", en se basant sur l'argument selon lequel les crimes graves seraient le plus souvent précédés de simple délits. Cela n'est vrai que pour la dernière catégorie, et pourrait l'être pour les viols liés à l'alcool.

Mais dans le cas des violences conjugales, souvent associé à l'alcoolisme, le fichage ne sert à rien: victimes et auteurs étant liées par des liens serrés de connaissance, nul besoin d'aller fouiller dans le FNAEG (Fichier national automatisé des empreintes génétiques) pour dénicher un suspect. Nul besoin de créer un fichier d'1,5 millions de  "mauvais citoyens", dont les "faucheurs d'OGM", qui incluent les "personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis l'une des infractions" donnant droit au fichage (art. 706-55 CPP), et qui "naturellement peut se croiser" avec le Fichier des empreintes génitales (sic) de Hortefeux (FAED, fichier automatisé des empreintes digitales), qui regroupe 3,5 millions de personnes.

Le fichage n'a en effet d'utilité que pour la dernière catégorie. Lorsqu'auteurs et victimes ne se connaissent pas du tout, il permet sans doute de retrouver les auteurs et de les punir. Difficile, dans ce cadre, de contester la légitimité du FNAEG, tel qu'il avait été créé à l'origine par la gauche qui n'y avait inclus que les "délinquants sexuels".

Mais on voit aussi que ces cas sont corrélées de manière importante à des profils psycho-sociaux de "marginaux". En bref, il conviendrait de prendre un peu plus au sérieux la prévention médico-sociale au lieu de lui couper les fonds.. Mieux vaut prévenir que "guérir", surtout lorsque la "guérison" consiste en une incarcération aggravant encore les "profils psycho-sociaux". Il ne s'agit pas, là, d'"excuser" les violeurs par leur profil, mais plutôt de prendre le viol au sérieux, en s'attaquant sinon à ses "causes", du moins à des facteurs favorisant le passage à l'acte.

Ce d'autant plus que ce type de suivi social concernerait aussi la première catégorie, les « abuseurs-violeurs en série de proximité », et permettrait peut-être de faire en sorte qu'un plus grand nombre de ces criminels suivent le même trajet que la majorité des personnes ayant eu, eux aussi, une "enfance difficile", mais ne s'étant pas pour autant rendues coupables de viols en grandissant.   

S'agissant du viol conjugal, catégorie qui fait le moins l'objet de plaintes et qui s'insère dans le continuum du sexisme, on ne peut a priori qu'appuyer la législation visant à faciliter la prise en compte des violences conjugales. Mais, au nom de l'urgence légitime de la prévention de ces violences, les nouvelles lois ont tendance à oublier quelques principes élémentaires. Le Syndicat de la magistrature (SM) a ainsi critiqué l'abaissement du niveau de la preuve requis en ce qui concernait l'ordonnance de protection que peut mettre en œuvre le juge aux affaires familiales (élargissant ainsi le pénal au droit civil), ainsi que l'alignement des violences conjugales sur les crimes et les agressions sexuelles par l'extension du suivi socio-judiciaire et du bracelet électronique. Ce n'est pas parce qu'il y a continuité sociologique et statistique entre violences conjugales et viol qu'il faut mettre les deux sur le même plan au niveau juridique!

Des limites du suivi socio-médical 

Lutter contre le viol passe d'abord par un suivi approprié de personnes ayant souvent eu des "enfances difficiles", sachant qu'une minorité de celles-ci se rendent ensuite coupable de viols, première ou dernière catégorie. Le FNAEG ne sert que pour retrouver ceux effectués dans ce dernier cadre, et non à les empêcher. C'est déjà bien; c'est peu au niveau global des viols. Un tel suivi requiert un soutien budgétaire aux services médico-sociaux de l'enfance. Il ne faudrait pas l'oublier au moment du vote de la loi de finances. 

Un tel suivi, néanmoins, doit s'abstenir de toute stigmatisation, ce qui n'est pas simple! Il faudrait en effet éviter ce que rappelle Iacub:
Les victimes sont à ce point victimisées, pour ainsi dire, que l'on suppose - parfois on a même la certitude - que l'enfant, après un tel traitement, deviendra lui-même un violeur, et plus précisément un violeur pédophile. Et c'est pour cela, vous savez, qu'on leur propose un traitement psychologique, tout comme aux criminels; parce qu'ils sont tenus justement pour des criminels en puissance, comme si le sexe criminel était une sorte de vampirisme qui se transmettait comme ça, par les morsures d'un autre vampire... C'est dans la loi, ce que je vous dis. Ça date de 1998.
Et Ian Hacking (1999) d'évoquer des études qui souligneraient que, si la maltraitance infantile est sans aucun doute un fait réel, le concept, flou, de "maltraitance infantile", et le dispositif d'expertise, et de suivi social qui a été créé autour depuis les travaux novateurs de C. Henry Kempe,  pourrait avoir des effets pervers. On l'accuse, en effet, de ne pas se contenter d'une description des symptômes de ce mal, mais aussi de contribuer à les produire, alors même que ce dispositif vise à les soigner. Ces avertissements ne visent pas à nier  le mal, mais à éviter que le remède ne se révèle pire. Ils montrent ainsi la limite d'un tel "suivi" de "l'enfance difficile", concept qui a la fâcheuse tendance à mélanger la misère, l'abandon de l'enfant, etc., avec la maltraitance infantile, qui elle-même regroupe des cas aussi différents que la négligence et toutes sortes de violences distinctes (physiques, affectives, symboliques).

Lutter contre le viol, ensuite, nécessite un changement de focale : au lieu de centrer l'attention sur les classes populaires et urbaines, il faut prendre en compte les difficultés rurales, d'une part, et d'autre part et surtout, les violences conjugales et, par conséquent, le machisme d'un côté, et l'alcoolisme de l'autre. Lesquels sont très loin de se limiter aux "cités"...

Il est ainsi douteux que le droit, à lui seul, qui plus est lorsqu'il comporte des aspects douteux, et a fortiori le fichage, puisse constituer une réponse efficace aux violences sexuelles. Mais on voit à quel point la prévention du viol implique une politique sociale élargie, allant bien au-delà d'un suivi médico-social des enfants qui vivraient des situations difficiles. Délaisser les questions économiques et sociales, par exemple en ignorant que l'"enfance difficile" regroupe des situations hétérogènes de détresse économique et sociale, au profit de l'expertise médico-sociale et de la pénalisation ne constitue pas, semble-t-il, la meilleure manière de lutter contre ce dont on prétend se prévenir. Pas plus, d'ailleurs, que de croire que le viol serait une "maladie de pauvres", et de  prétendre que le sexisme et les violences conjugales ne touchent qu'une catégorie de la population. Paradoxalement, il se pourrait qu'une prévention efficace du viol exige qu'on cesse de se focaliser uniquement sur ce mal.

De la nécessité de contrôler l'identité de son partenaire avant de coucher

Quant au fichage génétique et digital, qui n'a donc d'utilité que pour une minorité des cas de viol, nous suggérions en fait de suivre Hortefeux et non seulement de le généraliser, mais surtout de consulter ces "deux fichiers majeurs" du ministre avant tout acte sexuel. Cela permettrait, en effet, d'éviter tout pseudo-consentement suite à une confusion sur la personne. 

M. Iacub nous rappelle en effet cette anecdote loufoque : lorsque la Cour de Cassation a défini le viol au milieu du XIXe siècle, il s'agissait d'un cas rappelant étrangement l'histoire de Martin Guerre, cet homme qui avait "volé" la femme d'un autre, au XVIe siècle, en usurpant l'identité du mari disparu. Dans cette autre affaire, du XIXe siècle, "un homme était entré dans le lit d'une femme en se faisant passer pour son mari" et, alors qu'elle répondait au "devoir conjugal", elle se rendit compte qu'elle avait été trompée et avait repoussé son faux-mari. Si elle avait vérifié l'identité de son mari en consultant le FNAEG, ça ne serait jamais arrivé !


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Les viols jugés en Cours d’assises : typologie et variations géographiques, Véronique LE GOAZIOU et L. MUCHIELLI, Questions Pénales, sept. 2010, 4 p.,

Les empreintes génitales de Hortefeux: le fichier MENS existe-t-il?, Vos Papiers!, 18 octobre 2010  

Ian Hacking, Entre science et réalité. La construction sociale de quoi?, 1999, La Découverte, 2009, chap. V, "La fabrication d'un genre: la maltraitance infantile".

Marcela Iacub, Qu'avez-vous fait de la libération sexuelle?, Flammarion, 2002 (notamment chap. V, "La belle au bois violée" et VI, "Les crimes sexuels sont-ils des atteintes à la liberté sexuelle?")

Michel Foucault, La volonté de savoir, tome I de L'Histoire de la sexualité, Tel Gallimard, 1976

Michèle Mestrot et Julien Marrochella, Violences conjugales : vers un droit spécifique ?, Blog Dalloz, 13 juillet 2010

Loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, Vie-publique.fr

Emmanuelle Alain, Fallait-il faire entrer l’inceste dans le code pénal ?, Blog Dalloz, 5 février 2010

Pascal Riché, « La Domination masculine », film anti-mâles : deux bonus vidéo, Rue 89, 25 novembre 2009


Loi n°2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs

Cour de cassation, audience du 5 septembre 1990, n° de pourvoi 90-83786 : l'arrêt historique ayant reconnu la possibilité du "viol conjugal" malgré le consentement présumé aux relations sexuelles établi par le mariage 

samedi 23 octobre 2010

Biométrie et identification #1.1.2


Cette rubrique a été en grande partie transférée sur Delicious , comme je l'avais indiqué en juillet, mais je vais essayer de poursuivre cette revue de presse "blog". La périodicité sera plus rare, ce qui implique une sélection plus importante.

  • Je m'autorise aussi à inclure des articles qui n'ont rien d'actuel, mais qui gardent un certain intérêt historique. Par exemple celui-ci: en septembre 1981, le New York Times titrait un article Recognizing the Real You. ("Reconnaître votre vrai Vous"), et qui évoquait déjà les monts et merveilles promises par la biométrie. A l'époque, le dispositif vendu par Fingermatrix, entreprise new-yorkaise, valait entre 10 000 et 100 000 dollars, et permettait de reconnaître 40 minuties sur les empreintes digitales. Certes, depuis la technologie a progressé; mais promesses et lacunes n'ont pas bougé d'un iota: la biométrie serait la solution miracle, au petit détail près qu'elle n'est, en fin de compte, qu'une nouvelle technologie...
  • Carte d'identité biométrique: "Vos empreintes!". George Moréas, flic blogueur et non l'inverse, évoque le nouveau projet de carte d'identité biométrique, venant après le passeport, imposé par l'UE, et surtout après l'échec d'INES , la carte d'identité nationale électronique et sécurisée, rebaptisée "inepte, nocif, effrayant, scélérat". La nouvelle carte d'identité nationale française, proposée au Sénat, "pourra comporter deux puces. L’une obligatoire, dans laquelle figureront des données d’identité et des données biométriques ; l’autre, facultative, destinée à faciliter l’échange d’informations sécurisées." Pas question, donc, d'imposer le e-commerce et l'identité numérique à tout le monde, ce qui marque déjà un progrès au niveau de la réflexion dans les bureaux. Confondre carte d'identité et carte VISA, comme l'a fait le Portugal, ce n'est en effet jamais une bonne idée: mélanger des applications qui n'ont rien à voir, cela augmente les possibilités qu'on vous usurpe vos empreintes digitales. Et il est plus difficile d'en changer que de modifier son mot de passe...
    Un seul ajout, au billet de Moréas: il dit “finis les contrôles au pif”. Sauf que le policier devra toujours justifier son contrôle d’identité selon les art. 78 et sq. du Code de procédure pénale, lorsque celui-ci aura débouché sur une procédure pénale (pour les sans-papiers, c'est fichu puisque la nouvelle loi repousse l'intervention du juge des libertés et détention au cinquième jour, date à laquelle l'Etat aura eu tout le temps de faire ses formalités diplomatiques et d'expulser l'infortuné, et tant pis pour la légalité du contrôle d'identité!). Malgré cette loi, l'informatique et la biométrie ne changeront rien aux contrôles aux faciès. Par contre, cette carte d'identité permet d'automatiser le fichier des empreintes digitales, enregistrées depuis la loi Pasqua de 1987 lors de la délivrance de la carte d’identité, mais qui, en raison de l’opposition de la CNIL, était resté jusqu'alors un fichier mécanographique. Cela n'a jamais empêché d'utiliser ce fichier lors d’une vérification d’identité au poste, pas plus que le voile. Mais désormais, cette vérification biométrique sera la règle, et non plus l’exception… attendez-vous donc qu'au prochain contrôle d'identité, faciès ou pas, l'agent de la "paix" vous ordonne: "Vos empreintes!".
  • OSCAR n'aime pas DJANGO. Le fichier OSCAR (Outil simplifié de contrôle des aides au retour, sic), créé par décret du 26 octobre 2009, passe à une nouvelle phase au moment même où la Commission européenne tape sur les doigts de la France pour sa politique raciste et où Le Monde dévoile l'existence d'un "fichier Roms". Comme le dit le quotidien du soir du 29 septembre, dans son ton très "neutre", "les étrangers bénéficiant de l'aide au retour dans leur pays, Roms en particulier, devront laisser leurs empreintes digitales à partir de vendredi, avec le début d'un fichage biométrique visant, selon le ministère de l'immigration, à lutter contre la fraude à ces aides. Très critiquée par les associations, cette phase biométrique du fichier Oscar (Outil simplifié de contrôle des aides au retour) se fera sous contrôle de l'Office français de l'immigration et de l'intégration." Le Conseil d'Etat a rejeté le 20 octobre le recours déposé par des associations de défense des droits de l'homme (Ligue des droits de l'homme, GISTI, qui soutient les immigrés, et IRIS, spécialisé sur l'Internet), qui soulignaient la durée de conservation excessive des données (5 ans) ainsi que le nombre d'empreintes digitales prélevées (10, contre 2 pour le passeport biométrique). Je répète: OSCAR n'aime pas DJANGO... nous, si! (et Moondog aussi, by the way, pace Hadopi...).
  • Apple créé la télécommande biométrique. La Pomme dépose un brevet de reconnaissance biométrique de la main (géométrie de la main), qui sera utilisé pour les télécommandes (télé, chaîne Hi-Fi, etc.). Selon Wired, un peu optimiste, elle montre que le futur de la biométrie n'est pas la sécurité, mais la reconnaissance de l'usager. En bref, dès que vous poserez votre main sur votre télécommande, celle-ci saura si vous êtes le papa, le gamin ou l'invité de passage. Et vous tomberez directement sur TF1 plutôt que sur M6. Si c'est pas une avancée! 
  • Hacking: la carte d'identité allemande piratée. Des hackers du Chaos Computer Club ont encore fait la preuve des failles de la technologie, en hackant la nouvelle carte d'identité allemande, qui inclut empreintes digitales et puce RFID, tout ça lié à un scanner à domicile afin de pouvoir disposer d'une "identité numérique" officielle pour faire du shopping et payer ses impôts. C'est pas ça qui va affoler le ministre de l'Intérieur : tant que ça se vend...
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lundi 18 octobre 2010

Les empreintes génitales de Hortefeux : le fichier MENS existe-t-il?

Après le lapsus de Rachida Dati, c'est au tour de Brice Hortefeux de s'intéresser à la sexualité, en évoquant les deux "fichiers majeurs" utilisés en France, le "fichier des empreintes génitales, et le fichier des empreintes génétiques".

Cette équivoque malheureuse, qui rappelle l'intérêt de l'Etat pour les testicules des délinquants, a été rapportée par Le Post qui a extrait une minute de l'entretien d'Hortefeux au Grand Jury de RTL, dimanche 17 octobre, dans lequel il était interrogé à propos du fichier illégal MENS (Minorités ethniques non sédentarisées) dont l'existence a été dévoilée par Le Monde du 7 octobre.  

Synthèse

Au-delà de l'anecdote, nous présentons ici la question complexe du "fichier MENS", en montrant que le ministre nous induit en erreur en prétendant qu'il aurait ordonné la destruction de ce fichier en décembre 2007: en résumé, il ne peut s'attribuer la destruction de ce fichier, puisque celui-ci n'existe pas: ce qui existe, c'est une dénomination MENS, utilisée dans les divers fichiers de la gendarmerie. Bref, non pas un, mais mille fichiers MENS !

Prétendre qu'il n'y aurait pas de "fichage ethnique" alors que la mention MENS, "Roms", "tziganes", etc., est utilisée dans l'ensemble des fichiers de la gendarmerie consacrés aux... "gens du voyage", relève au mieux de la confusion, au pire de l'imposture.  

L'autre fichier, généalogique (que le ministre qualifie, de façon confuse, de "généatique"), est un fichier constitué en 2000, et qui semble avoir supprimé par décision interne de la gendarmerie en décembre 2007, et ce pour des raisons pragmatiques: le fichier JUDEX faisait parfaitement l'affaire.  

En s'appuyant sur une note interne à la gendarmerie de 1992, l'analyse des techniques de renseignement de la gendarmerie à l'égard des "populations nomades" montre comment celle-ci s'inscrit dans une longue histoire, entamée dès l'Ancien Régime et poursuivie avec la loi de 1912 sur les nomades et le carnet anthropométrique, et qui utilise les contrôles d'identité à des fins de surveillance d'une population jugée "suspecte" eu égard au "refus" qu'elle manifesterait "à l'égard des valeurs de la société française". Au vu de cette note, la surveillance, finalité des fichiers dont l'existence a été révélée, ne s'exerce pas seulement sur les "délinquants": elle touche les "gens du voyage" en tant que tels, dits "minorité ethnique non sédentarisée".

A propos de la constitution de la catégorie des "gens du voyage", cf. aussi le billet La HALDE, la diseuse de bonne aventure et les gens du voyage.

L'entretien complet d'où est extrait ce lapsus est retranscrit à la fin de cet article.

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Ce lapsus intervient alors que B. Hortefeux tente de défendre son gouvernement suite à la polémique du fichier illégal de la gendarmerie, MENS, qui viserait les Roms.

Il faut toutefois éclaircir la confusion qui règne dans cet entretien, puisqu'on ne sait plus quel est le fichier MENS, qui aurait existé de 1992 à 2007 mais qui selon la CNIL n'a jamais existé. Pour le général Mignaux, directeur général de la Gendarmerie nationale, auditionné le 13 octobre par la Commission des lois de l'Assemblée, ce fichier inexistant dont l'existence a été révélée par Le Monde le 7 octobre se réfère en fait à la "base de travail", soit un fichier "précaire", de l'Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI) de la gendarmerie. Ce fichier ne serait pas, selon le général, un "fichier ethnique". Mais la CNIL a affirmé que tant l'OCLDI que le STRJD (Service technique de recherches judiciaires et de documentation) faisaient un ample usage, dans leurs communications internes et dans la consultation des fichiers, du terme de "Roms" ainsi que de la mention "MENS".

Par ailleurs, un autre fichier a existé, selon le ministre, de 2000 à 2004 (première version du ministère) ou à 2007 (deuxième version, lors de l'entretien RTL): il s'agit du fichier généalogique Généatic.  

Un, deux, trois fichiers...

Brice Hortefeux se félicite sur RTL que ce fichier illégal, MENS, ait cessé de fonctionner en décembre 2007, le 13 décembre précise-t-il, donc sous le gouvernement Sarkozy, et avec lui-même au ministère de l'Intérieur.

La gendarmerie, responsable de ce fichier, était en 2007 sous la tutelle non pas de l'Intérieur, mais de la Défense:  c'est donc plutôt Hervé Morin qui aurait du être cité. Mais ce dernier ayant fait voter le comité national du Nouveau Centre en faveur d'une "candidature centriste indépendante" pour la présidentielle, il valait mieux, pour Hortefeux, laisser ce dernier dans l'ombre et s'attribuer ce rôle de "défenseur des droits et libertés". La gendarmerie n'est passé sous la tutelle de l'Intérieur qu'avec la loi du 3 août 2009, comme le rappelait le ministère de l'Intérieur lui-même. 

Fin de l'interlude politicienne? Hortefeux attribue à la gauche la responsabilité de la création de deux fichiers, le fichier MENS et un fichier "généatique" (sic), dont l'un aurait été créé en 1992 et l'autre en 2000. Il y a là une certaine confusion qui touche tant les propos du ministre que ceux des journalistes. Le ministre parle de deux fichiers, les journalistes d'un seul.

Le fichier Généatic (2000-2007?) 

Clarifions d'abord le cas du fichier "généatique". Le Grand Robert de la Langue française ne connaît pas ce terme ; pour Wikipédia, il s'agit d'un logiciel de généalogie. Le Monde du 15 octobre précise qu'il s'agit en fait du fichier Généatic. Celui-ci est en effet évoqué par le général Mignaux, qui déclarait devant la Commission des lois:
Je rappelle à nouveau, comme l’a constaté la CNIL, que l’OCLDI [Office central de lutte contre la délinquance itinérante] ne possède plus de fichier généalogique. Une base de données, intitulée Geneatic, avait certes été créée en 2000 pour faciliter le travail de la CILDI [cellule interministérielle de lutte contre la délinquance itinérante, ancêtre de l'OCLDI]. Le responsable de la cellule avait alors acheté un logiciel de généalogie disponible sur le marché civil en vue de constituer des schémas généalogiques et des présentations des environnements de délinquants. En 2006, la nette amélioration de la qualité de la remontée de l’information judiciaire par JUDEX a fait tomber l’outil Geneatic en désuétude ; d’autre part, toutes les études juridiques démontraient sa non-conformité définitive à la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978. La gendarmerie a alors décidé de supprimer cette base de données, par une note datée du 13 décembre 2007.
Le Monde du 8 octobre rapportait déjà :
Brice Hortefeux a assuré n'avoir jamais eu connaissance d'un fichier MENS, mais le ministère de l'intérieur a convenu, dans un communiqué, le 7 octobre, qu'un "fichier généalogique, alors détenu par l'OCLDI, a été supprimé le 13 décembre 2007, conformément aux obligations de la loi".
La généalogie, outil de la lutte policière ? Intéressant comme vision... Notons que si le général Mignaux affirme que le fichier Geneatic a été détruit en 2007, affirmation ici reprise par le ministre, celui-ci avait auparavant affirmé qu'il avait été détruit en 2004, si on en croit les propos de la députée Delphine Batho lors de l'audition du général:
À la suite des révélations sur l’existence d’un fichier « ethnique » et d’un fichier généalogique, le ministre a déclaré qu’il n’avait pas connaissance du premier et a assuré que le second avait été détruit en 2004… tout en demandant un contrôle.
En outre, si le ministre Hortefeux s'attribue la gloire, avec le président Sarkozy, de la suppression de ce fichier en 2007, le général Mignaux affirme lui qu'il s'agit là d'une décision interne à la gendarmerie, d'origine pragmatique: non seulement la légalité du fichier est contestable, mais surtout JUDEX, l'équivalent dans la gendarmerie du STIC (Système de traitement des infractions constatées), fait très bien l'affaire.

MENS, le fichier qui n'existe pas mais aurait existé de 1992 à 2007

Le fond des questions de RTL à Hortefeux concerne le "fichier MENS", et le ministre répond en disant qu'il y a deux fichiers, l'un, "créé en 1992", et l'autre, créé en 2000, dont nous avons vu qu'il s'agissait en fait du fichier Geneatic. Mais comment comprendre cette histoire de fichier MENS, dans la mesure où la CNIL a précisé qu'un tel fichier n'existait pas?

La réponse à cette question permet de comprendre le sens de la première question des journalistes:
la CNIL dit ne pas avoir trouvé ce fichier, est-ce que pour vous c'est suffisant pour prouver que ce fichier n'existe pas?
Aucune réponse ne sera apportée à cette question grave: quelle est l'efficacité des contrôles de la CNIL?

Rappelons les faits tels que présentés par la presse. Le fichier MENS aurait été créé en 1992 selon le ministre. Il s'appuie ici sur Le Figaro, qui a exhumé une note interne de la gendarmerie, signé par le général R. Guillaume (sous-directeur de l'Organisation et de l'Emploi à la gendarmerie) "pour le ministre de la Défense et par délégation" (Pierre Joxe). Ceci a suscité l'ironie du journaliste Franck Johanès, à l'origine de la révélation de ce fichier, qui écrit :
Que le ministre de l’intérieur veuille renvoyer la responsabilité de ces dérives sur les socialistes est en soi risible : personne n'accuse Brice Hortefeux ou l’un de ses glorieux prédécesseurs d’avoir ordonné la constitution d'un fichier ethnique.
Le général Mignaux a souligné, lors de son audition, la difficulté de gérer la création des fichiers:
De Paris, il n’est sans doute pas très facile de recenser tous les fichiers de France et de Navarre, développés parfois par des « bidouilleurs » qui, pour gagner du temps, créent des applications intégrant des fiches nominatives. (...)
 Nous sommes en train d’organiser une traçabilité : chaque gendarme sera prochainement doté d’une carte d’identité individuelle, qui lui permettra d’accéder à telle ou telle base de données et à tel ou tel niveau d’information que celle-ci contient, en fonction de son intérêt à en connaître. Une trace de la requête sera évidemment gardée, ce qui nous permettra de savoir qui a consulté la base. Lorsque la CNIL a contrôlé JUDEX à propos de l’affaire Soumaré, nous avons constaté des pics de consultation pour un homonyme et nous avons entendu individuellement tous les enquêteurs qui avaient utilisé abusivement leur habilitation : pour une majorité d’entre eux, nous nous sommes aperçus qu’il s’était agi d’assouvir une curiosité professionnelle mal placée.
En bref, non seulement l'efficacité des contrôles de la CNIL est apparemment douteuse, mais en plus la hiérarchie de la gendarmerie ne contrôle pas tout. On comprend la gêne du ministre interrogé, qui tente néanmoins de s'attribuer la responsabilité de la suppression des fichiers et de rejeter celle de leur création sur la gauche au pouvoir en 1992 et 2000.

La note de 1992 du général Guillaume : constituer un fichier des nomades incluant des données sensibles et intensifier les contrôles d'identité à des fins de surveillance

La note du général Guillaume (et non pas de Pierre Joxe, comme l'a qualifiée par erreur le député socialiste J.-J. Urvoas) associe sans ambages la catégorie juridique de "gens du voyage", naguère associé au carnet anthropométrique par la loi sur les nomades de 1912 (première carte biométrique à exister en France), aux "délinquants", en commençant par ces mots:
Si l'époque des voleurs de poules est révolue, l'activité délinquante de certains SDRF [sans domicile ni résidence fixe, catégorie faisant l'objet d'un fichier administratif de la gendarmerie] demeure une constante de leur mode de vie.
La note insiste ensuite sur l'importance des contrôles d'identité pour faciliter "le suivi des malfaiteurs et des campements leur servant de relais", renouant là avec une longue histoire, entamée dès l'Ancien Régime, sur l'utilité des contrôles d'identité pour surveiller les populations. Qu'importe si selon le Code de procédure pénale, ces contrôles visent soit à prévenir une infraction imminente, soit à appréhender un individu recherché. Ici, la logique policière dépasse la finalité juridique, laquelle est détournée en tant que moyen de contrôle et de surveillance des populations. 

Après avoir indiqué que la sédentarisation conduirait à une radicalisation de la "délinquance" en mettant en contact ces "populations" avec les "milieux du crime organisé", sans toutefois effacer leur "mobilité", et prétendu que les "gens du voyage" partageaient des valeurs "étrangères à la société française" (ça fait un point commun avec les porteuses du niqab...), la note appelle à la constitution d'un fichier:
Il convient de rassembler toutes les données susceptibles de favoriser une meilleure compréhension du mode de vie des gens du voyage (les valeurs dominantes, les coutumes et pratiques religieuses, les activités économiques licites, la situation sociale, les différents dialectes, les origines géographiques et ethniques).

Toute action de la gendarmerie, qu'elle soit préventive (satisfaction de la demande sociale de sécurité et d'assistance de certains non sédentaires) ou répressive (constatation des infractions et identification des coupables) s'appuiera sur cette connaissance des populations SDRF.
Ce savoir d'Etat doit s'appuyer sur les sociologues et l'établissement de statistiques. Il faut faire appel à des "sources diversifiées de renseignement" : aussi bien les associations que les services sociaux de l'Etat, les mairies, les services publics comme EDF ou les PTT, les greffes des tribunaux ou encore les banques et les caisses d'épargne. Les agents de ces services "peuvent être à l'occasion des auxiliaires précieux des gendarmes, non seulement pour compléter leur connaissance générale des SDRF, mais encore pour faciliter la recherche de certains délinquants".

Après l'appel des agents de l'Etat refusant de se faire auxiliaires de la police en matière de chasse aux sans-papiers, on comprend que ce modèle peut être rapidement étendu à toute catégorie de la population. Le Collectif national de résistance à Base élèves dénonçait par ailleurs récemment les velléités de création d'un fichier des "enfants des gens du voyage", tandis que la gendarmerie a déjà été affectée par des polémiques concernant des fichiers illégaux sur les travailleurs saisonniers.

Par ailleurs, renouant avec la logique coloniale, mise en œuvre notamment en Algérie, la note précise que "la discussion avec les chefs de clans doit être privilégiée lorsqu'elle est possible".

S'appuyant sur une circulaire de 1977 relative au "recensement et à la surveillance des relais du banditisme", la note recommande la création de "dossiers de campement" et préconise une "intensification quantitative et qualitative des identifications" qui s'appuie sur la circulaire de 1986 relative aux contrôles d'identité. Rue 89 vient de se procurer un logiciel utilisé "au moins jusqu'en 2000", qui faisait état d'un fichier "Roms", les individus étant ensuite classés par nationalité.

Outre une consultation systématique du FPR (Fichier des personnes recherchées) lors de ces contrôles, la note rappelle la distinction entre contrôles de police effectués dans le cadre du Code de procédure pénale (CPP) et contrôles administratifs visant à s'assurer de la possession du carnet de circulation (contrôle de même nature juridique qu'un contrôle de permis de conduire): il faut "bien distinguer les individus qui relèvent du statut SDRF, pour lesquels les documents administratifs (...) peuvent être exigés sans formalité particulière, des sédentaires dont les pièces d'identités sont contrôlées dans le cadre légal" du CPP.

Si M. le député Didier Quentin (UMP), chargé d'une mission d'information relative aux "gens du voyage", avait encore quelque interrogation concernant l'utilité du carnet de circulation, après la réponse qui lui a été fournie par le général Mignaux, le voilà fixé. Mignaux affirmait en effet:
Ces documents doivent être visés dans un service de police ou de gendarmerie, selon une périodicité d’un an pour le carnet et de trois mois pour le livret spécial. C’est un moyen d’établir un contact avec ces populations, qui peuvent faire l’objet de recherches de renseignements de la part des administrations, et de les suivre. Il permet aussi de faciliter les rapports entre élus locaux et groupes itinérants.
La note est plus explicite: en n'étant pas soumis au cadre juridique plus strict des contrôles d'identité édicté par le CPP, le contrôle des titres administratifs permet de généraliser les vérifications d'identité à tout moment et ainsi d'"assurer le suivi" de ces "populations", bref, de les surveiller.

Elle fixe de surcroît au STRJD le rôle de centraliser ces informations et aussi de créer une base consacrée à l'enregistrement des "empreintes digitales non identifiées mais relevées sur le lieu des infractions".

MENS: un fichier ou une dénomination?

C'est donc, semble-t-il, sur la base de cette note que le ministre affirme qu'un fichier a été créé en 1992, soit sous un gouvernement de gauche. Il n'y a aucun doute que celle-là demande la centralisation des informations, ainsi que la constitution d'un fichier des empreintes digitales au STRJD. Mais personne, jusqu'ici, n'a pu désigner avec précision quel est le fichier qui aurait été ainsi créé. Rien ne permet donc de confirmer les propos de Hortefeux selon lequel un fichier aurait alors été créé: on ne peut que constater la volonté et l'ordre explicite de centraliser des informations.
   
Par ailleurs, le rapport préliminaire de la CNIL, du 14 octobre, indique:
la dénomination « MENS », qui signifie « minorité ethnique non sédentarisée », fait l’objet d’une utilisation courante par les services de gendarmerie depuis 1992. C’est ainsi que cette appellation est à de très nombreuses reprises utilisée dans l’ensemble des traitements qui font l’objet des commentaires ci-dessous.
Dans ces conditions, il n’existe pas un fichier MENS spécifiquement identifié. En revanche, plusieurs traitements utilisent la mention MENS, soit dans leur dénomination, soit dans la collecte des données, leur transmission ou leur stockage.
Selon la CNIL, pas de fichier MENS, mais plusieurs fichiers utilisant cette appellation, qui est d'usage courant, nous dit le général, y compris dans les revues spécialisées - ce qui soulève quelques questions quant à la création d'une telle catégorie par les "experts". Il faut relire avec attention cette déclaration de la CNIL, puisque, comme nous le verrons, elle a été interprétée à tort comme signifiant qu'il n'y avait pas de "fichier ethnique", alors même qu'elle affirme que la dénomination MENS est "à de très nombreuses reprises utilisée dans l'ensemble des traitements" examinés.

Rappelons cet échange entre Delphine Batho et le général Mignaux lors de son audition:
Delphine Batho: Vous avez indiqué que le tableau des interpellations par nationalité était tiré de JUDEX, mais vous n’avez pas donné d’explication à propos des notes portant « informations officieuses, consultations du fichier MENS ». Si le fichier MENS n’existe pas, d’où proviennent ces éléments ? J’aimerais obtenir des réponses précises.
(...)
Général Mignaux: Je vous répète que nous ne possédons pas de « fichier MENS ». Si c’était le cas, je le saurais, mes adjoints ici présents me l’auraient dit – lorsque l’on est auditionné par la Commission des lois, autant dire la vérité, cela évite des désagréments ultérieurs.

L’article de presse à l’origine de cette affaire est une construction élaborée à partir de recoupements et de fuites. Je suis d’ailleurs en train de comprendre d’où proviennent ces dernières et je n’exclus pas des suites, car cela nous a causé un tort considérable.

Nous avons envisagé le problème sous tous les angles. Selon moi, ce qui est désigné comme « fichier MENS » est la base de travail de l’OCLDI [épinglée en fichier illégal par la CNIL], qui n’est pas un fichier ethnique.
Ce n'est peut-être pas un fichier ethnique, mais selon la CNIL, tant l'OCLDI que le STRJD font usage des mentions "Roms":
Le contrôle a montré que, parmi les messages adressés au STRJD (et à l’OCLDI),
un volume très important a trait aux contrôles des « gens du voyage ». Les informations communiquées dans ce cadre concernent notamment l’identité des personnes contrôlées, leurs photographies et les numéros des plaques d’immatriculation des véhicules utilisés. Une fois encore, une telle remontée d’information constitue un traitement de données personnelles. A ce titre, il aurait du être déclaré.

2. Lors de cette première phase de contrôles, aucun fichier structuré regroupant des données à caractère personnel relatives aux « Roms » et organisé autour de cette notion n’a été décelé. Néanmoins, il faut noter que certaines des informations enregistrées révèlent les origines ethniques des personnes contrôlées (mention est faite à de nombreuses reprises de la qualification de « Roms », susceptible d’être considérée comme une donnée sensible au sens de l’article 8 de la loi [Informatique et libertés]). En toute rigueur, cette pratique courante consistant à utiliser l’expression de « Roms » ne pourrait être autorisée que par un décret en conseil d’Etat, pris après avis de la CNIL, conformément à l’article 27 de la loi.
On comprend que RTL ait décidé de ne pas entrer dans le cambouis des fichiers vu la complexité du problème et les informations contradictoires.  Mais le résultat de cette simplification, c'est que le ministre peut prétendre qu'un fichier MENS a existé de 1992 à 2007, date à laquelle il aurait été supprimé par  Sarkozy. En fait, c'est le fichier Geneatic, créé en 2000, qui a été supprimé le 13 décembre 2007 par note interne de la gendarmerie, qui lui préférait JUDEX. Quant à MENS, Sarkozy et lui-même n'ont pu le supprimer s'il n'existait pas.

Existait-il? Personne n'en sait rien. Des notes internes de la gendarmerie ont fait état de "consultation du fichier MENS", comme l'a rapporté Le Monde puis Delphine Batho, co-auteur d'un rapport parlementaire sur les fichiers de police et de gendarmerie. Le général Mignaux conteste son existence, affirmant que ce que Le Monde évoquait par ce terme désignait probablement le fichier de travail de l'OCLDI. Mais il ajoute que ce fichier n'est pas un "fichier ethnique". Pour complexifier encore l'affaire, la CNIL note de façon très claire qu'il n'y a pas de fichier MENS, mais que la gendarmerie fait un usage habituel de la catégorie MENS lors de ses échanges internes et de la consultation de ses fichiers.

Selon la CNIL, le fichier de l'OCLDI n'a pas été créé en 1992, mais en 1997

Mais si on revient à la "base documentaire" de l'OCLDI, identifiée par le général Mignaux comme le soi-disant fichier MENS, on apprend par la CNIL qu'il n'a pas été créé en 1992, comme le prétend Hortefeux, mais vraisemblablement en 1997. La CNIL ne dit pas si ce fichier illégal a été créé avant ou après le changement de majorité, la gauche plurielle parvenant au pouvoir après les législatives de mai-juin 1997. Elle se contente de dire:
Les contrôles menés ont établi que cet office met en œuvre, depuis - semble-t-il - 1997, une base documentaire alimentée par des informations issues de fichiers judiciaires (STIC, JUDEX, FPR), des messages de services opérationnels (police, gendarmerie) et des procédures traitées directement par l’office.
"Fichier judiciaire" est une expression trompeuse: le Système de traitement des infractions constatées, qui a existé 6 ans de façon illégale, jusqu'à ce que la gauche plurielle légalise son existence, et son homologue de la gendarmerie, JUDEX, sont en fait des fichiers policiers dans lesquels la police ou la gendarmerie enregistre toute infraction constatée par eux (ainsi que, pour le STIC, toute plainte de victime).

Ces fichiers n'ont donc rien à voir avec des casiers judiciaires qui font état, eux, des condamnations effectives. Bref, STIC et JUDEX sont des fichiers de "présumés coupables". Le Fichier des personnes recherchées, qui existe au moins depuis 1990 mais n'a été officialisé qu'en 1996, et qui est relié au fichier Schengen (SIS), est lui doté d'un statut ambiguë, puisqu'il enregistre tant les personnes faisant l'objet de mesures de recherche administrative que ceux faisant l'objet de mesures de recherche judiciaires.

Fermons la parenthèse: ce fichier interconnecté au STIC, à JUDEX et au FPR, donc également au fichier Schengen, n'a pas été explicitement évoqué lors de cette émission. Pas plus que ne le sera le logiciel d'analyse sérielle ANACRIM, qui n'a pas non plus été déclaré à la CNIL. S'agissant du premier, celui que le général Mignaud pensait donc qu'on appelait "fichier MENS", la CNIL déclarait:
Les requêtes effectuées sur cette base à partir de certains mots-clés n’ont pas révélé de données relatives aux origines ethniques des personnes qui y sont contenues. En conclusion, sur ce premier point, l’illégalité n’est pas fondée sur le contenu de la base, mais sur l’absence de déclaration à la Commission.
De même, elle n'a rien à dire d'autre sur le logiciel ANACRIM, qui a essentiellement un rôle d'interconnexion, si ce n'est que son usage est illégal puisqu'il n'a pas été déclaré. Bref, ce fichier et cette application ne mentionneraient pas de données ethniques, ce qui a été soutenu par le général et ré-affirmé ici par la CNIL. Sauf que celle-ci, en introduction, avait bien dit que l'appellation MENS "est à de très nombreuses reprises utilisée dans l'ensemble des traitements qui font l’objet des commentaires ci-dessous": il faut croire que pour elle, la catégorie MENS ne constituerait pas une catégorie ethnique, ni donc une donnée sensible, ce qui n'est pas le cas de la mention « Roms », qui est aussi utilisée "à de nombreuses reprises".

Enfin, la CNIL a constaté :
Nos contrôles n’ont pas permis de constater à ce jour l’existence d’une base relative à la généalogie de certaines personnes particulièrement connues de la gendarmerie. Selon les informations communiquées à notre Commission, cette base aurait été détruite en 2007. Elle n’avait d’ailleurs fait l’objet d’aucune déclaration auprès de notre Commission.
On n'est pas arrangé. Hortefeux affirme qu'un fichier, créé en 1992, a été détruit en 2007: ce serait donc celui-ci, le fichier MENS. C'est d'ailleurs ce qu'indiquait J.-M.Manach dans un article par ailleurs très complet. Sauf que cela contredit les déclarations du général, qui appelle ce fichier généalogique Geneatic, et désigne comme soi-disant fichier MENS le fichier de l'OCLDI interconnecté avec les fichiers précités. Ce qui est confirmé par la note interne publiée par le journaliste F. Johannès, dans laquelle on lit "consultation de notre base documentaire interne (fichier MENS)".  
 
Bilan: il n'y a jamais eu de fichier MENS, mais une utilisation habituelle de la mention "MENS" qui perdurerait aujourd'hui

Lorsque B. Hortefeux affirme que deux fichiers ont été créées, l'un en 1992 et l'autre en 2002, et qu'ils auraient été détruits par décision du président et du ministre de l'Intérieur en décembre 2007, il nous induit en erreur.

D'une part, si la mention "MENS" est habituellement utilisée par la gendarmerie depuis 1992, selon la CNIL, il n'y a pas de fichier MENS, toujours selon cette dernière. Et aujourd'hui encore, la mention MENS demeure utilisée dans les fichiers de la gendarmerie examinés par la CNIL, de même que l'épithète « Roms ».

Bref, tout l'entretien repose sur un fichier ethnique qui n'existerait pas, puisque ce qui existe selon la CNIL, c'est une catégorie ethnique utilisée lors de la consultation des fichiers de la gendarmerie. Ce qui est bien pire: non pas un, mais mille fichiers MENS!

D'autre part, ce que le général Mignaux pense que la presse désigne sous le mot de "fichier MENS", c'est la base documentaire de l'OCLDI. Or, celle-ci, selon la CNIL, ne comporte pas de données ethniques et aurait été créée non pas en 1992, mais en 1997, sans qu'on sache si elle le fut avant ou après les législatives. Néanmoins, cette affirmation contredit l'autre déclaration de la CNIL, selon laquelle la mention « Roms » et MENS est utilisée dans l'ensemble des fichiers examinés.

De plus, il y a le fichier généalogique, Geneatic, créé en 2000 et supprimé par note interne de la gendarmerie en décembre 2007. Hortefeux n'a guère de raison de s'attribuer la paternité d'un acte de défense des libertés individuelles, puisque ce fichier a été supprimé pour des raisons pragmatiques par la gendarmerie, qui lui préférait JUDEX.

Enfin, la CNIL affirme qu'il n'y a pas de "fichier ethnique" au sens où aucun n'est "organisé autour de la notion" "Roms", ni aucun spécifiquement consacré aux "Roms". Ce qui n'empêche pas d'avoir un fichier consacré aux "gens du voyage", puisqu'il s'agit du fichier administratif recensant les titulaires de carnets de circulation (fichier SDRF), ni non plus la CNIL, semble-t-il, de considérer comme donnée non sensible l'utilisation du terme MENS. L'équivoque provient de la catégorie même de "gens du voyage", catégorie juridique qui recoupe souvent, mais pas nécessairement, la catégorie ethnique des Roms ; pas nécessairement, dans la mesure où une grande partie des Roms est sédentarisée, et que d'autre part, les forains, saisonniers, travellers et autres nomades ne sont pas nécessairement des Roms.

Mais d'une part on voit clairement dans les documents de la gendarmerie que la catégorie "gens du voyage" signifie, pour eux, "gitans"; d'autre part, il est difficile de considérer que le terme "Minorité ethnique non sédentarisée", quelle que soit la valeur sémantique d'une telle invention policière, ne constitue pas une donnée sensible au sens de l'art. 8 de la loi Informatique et libertés. A partir du moment où les "mentions sur l'origine ethnique" sont utilisés, on voit mal comment on pourrait prétendre, comme le fait par exemple le Journal du dimanche, qu'"il n'y a pas de fichage ethnique". Surtout lorsque l'ensemble des fichiers en question concerne les "gens du voyage"...  

Les empreintes "génitales" et génétiques

Ah, et à propos du Fichier automatisé des empreintes digitales (FAED), objet du lapsus ministériel, et du Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), rappelons qu'outre leur expansion spectaculaire, ils servent à bien d'autre chose qu'à retrouver les cambrioleurs. Depuis la loi de sécurité intérieure de 2003, dite loi Sarkozy, il sert aussi à ficher les auteurs de tag, les faucheurs volontaires d'OGM, et même les simple suspects, comme le rappelait Le Monde (25-09-06) dans La tentation du fichage génétique de masse, voire même les méchants enfants ayant volé des Tamagochis, comme l'indiquait Le Monde du 5 mai 2007

Hortefeux, les chiffres, la générosité

Au passage, notons que lors du Grand Jury, Hortefeux a prétendu que la polémique sur les chiffres en France était "un cas unique en Europe et dans le monde, puisqu'aux Etats-Unis par exemple il n'y a pas de contestation". Il n'a sans doute jamais entendu parler de la polémique concernant la Million Man March, organisée en 1995, et qui est allée si loin que depuis, le National Park Service refuse d'effectuer le décompte des manifestants. Aux Etats-Unis, les organisateurs utilisent désormais les services d'agences privées pour effectuer le décompte, ce qui permet peut-être une plus grande objectivité, mais alourdit le coût d'organisation de manifestations, déjà très élevé.

Enfin, le ministre qualifie la position de la France, à l'égard des Roms expulsés, de "républicaine", "généreuse" et "digne". On se demande bien pourquoi prendre la peine de préciser ce que tous les Français savent: aucun gouvernement n'a été plus républicain, digne et généreux que le gouvernement actuel.


J'ai souligné quelques passages importants (en omettant de souligner à chaque fois que M. Hortefeux dit: "moi je") et ajouté des commentaires personnels entre crochets. Le passage, qui dure 5 minutes, commence environ à 35 minutes du début de l'entretien.

- On va changer de sujet, on va parler des Roms, le journal Le Monde en UNE, il y a quelques jours, Brice Hortefeux, évoquait un fichier spécifique sur les Roms. La CNIL, la Commission nationale des libertés, dit ne pas avoir trouvé ce fichier, est-ce que pour vous c'est suffisant pour prouver que ce fichier n'existe pas?

- [Brice Hortefeux] Bon évidemment vous partez d'un point précis mais moi je voudrais vous répondre sur un principe général d'action pour la police et la gendarmerie.

- Vous avez du mal à répondre aux questions qui vous sont posées ...

- [B.H.] reconnaissez que c'est humain, premier élément, et deuxième élément ça me permet aussi de rappeler quels sont les principes d'action. Je vous le dis, moi, très calmement, très sereinement, j'ai pas la manie des fichiers, j'ai pas la manie des bases de données, mais fichiers et bases de données sont des instruments indispensables, indispensables, à la lutte pour la sécurité.

- C'est encadré par la loi?

- [B.H.] Bien sûr que c'est encadré par la loi.

- Vous ne pouvez pas respecter la loi.

- [B.H.] Effectivement, Le Monde a fait en UNE, en UNE, un article sur ce sujet. Bon j'ai connu des UNES du Monde qui étaient sur des sujets, certes c'est important bien sûr, mais enfin j'ai connu des UNES du Monde avec l'élection du général de Gaulle, la fin de l'URSS, la chute du mur de Berlin. Là en UNE, en UNE, un article laissant curieusement entendre, mais c'était certainement une erreur, certainement pas une mauvaise volonté, laissant entendre...

- ... la gendarmerie utilise un fichier illégal qui visait les Roms [simultané].

-[B.H.]  ... laissant entendre qu'il y aurait un fichier qui aurait été constitué comme par hasard cet été. [simultané]

- [B.H.] Et je voudrai vous dire, je suis scandalisé par la manière dont cette information a été rapportée. Parce que nous avons donné des éléments tout de suite. Pas un mot sur le fait que cette mention, c'est-à-dire cette dénomination MENS (minorité ethnique non sédentaire - non sédentarisée [reprise des journalistes] - non sédentarisée) , telle qu'elle a été évoquée dans l'article remonte à 1992.

C'est présenté de telle manière que l'on pourrait croire, quelqu'un de non averti pourrait croire que c'était fait cet été. Alors on pourrait dire que le lendemain ça aurait été corrigé. Pensez-vous! le lendemain il y a un éditorial, on raconte des tas de choses, mais toujours pas la référence à la date de création qui est 1992. Et pas plus de référence sur un deuxième fichier qui était un fichier généatique (sic - il s'agit en fait du fichier Généatic) qui a été créé en 2000.

Je ne vous fais pas de dessin mais je rappelle quand même simplement quelles étaient les majorités au pouvoir à la fois en 1992 et en 2000. Et pour être tout à fait précis on oublie aussi de rappeler que cette volonté de transparence, de respecter l'infor... les lois Informatique et libertés, la Commission informatique et libertés, a abouti en décembre 2007, 13 décembre 2007 très exactement, c'était d'ailleurs sous la responsabilité de Nicolas Sarkozy, c'est sous son autorité, sous sa présidence, que cela a été supprimé. Donc je le dis...

- Donc il a bien existé ce fichier...

- [B.H.] Hubert Beuve-Méry avait fondé une œuvre, eux ils sont tombés dans les petites manœuvres, c'est ça la réalité [enfin! M. le ministre-communicant a réussi à caser sa phrase-choc].

- Le journal Le Monde vous répondra, donc vous répondez indirectement...

-[B.H.] ... ils répondent tous les jours à dire vrai, donc c'est une habitude.

- Donc vous reconnaissez indirectement, puisque vous dites qu'il a cessé de fonctionner en décembre 2007, que ce fichier a existé illégalement pendant 15 ans?

- [B.H.] Non [si], la CNIL a constaté qu'il n'existe pas, aujourd'hui, de fichier ethnique MENS. Il existe des bases de données sur la délinquance itinérante [un concept intéressant, qui n'a rien à voir, bien sûr, avec les "gens du voyage"], oui, ça c'est exact. Le général Mignaux s'en est expliqué devant la Commission des lois à l'Assemblée nationale, en toute transparence et la CNIL a conclu sur le fait qu'il n'y avait pas, qu'il n'y a pas de fichier MENS.

- il n'y a pas d'informaticien ici. Vous dites qu'en décembre 2007 ce fichier a cessé de fonctionner, la question est très simple: cela veut-il dire que jusqu'en décembre 2007 un fichier a fonctionné de manière illégale au sein des services de la gendarmerie?

- [B.H.] cela veut dire que sous la présidence de Nicolas Sarkozy, tout est mis en conformité avec la loi Informatique et libertés.

- donc c'est une manière de répondre "oui il a existé un fichier illégal"...

- [B.H.] vous vous êtes libres de dire ce que vous voulez, moi je...

- ... entre 1992 et 2007...

- [B.H.] moi je vous dis sous la présidence de Sarkozy tout est mis en conformité, pas seulement ça, il existe aussi d'autres aspects [on aurait aimé en savoir plus], tout est mis en conformité..

- alors pourquoi vous avez demandé un rapport qui doit être rendu demain à Alain Bauer sur ce fichier précisément?

- [B.H.] non, Alain Bauer est chargé d'une mission effectivement afin d'examiner que toutes les bases de données, les fichiers, sont en parfaite conformité avec la...[mais alors, si M. le ministre n'est pas sûr que tout soit en conformité, comment peut-il dire juste avant que "tout est mis en conformité" "sous la présidence de Sarkozy"?]

- il y en a combien des fichiers exactement? [36 fichiers de police selon le rapport Alain Bauer de 2007 ; l'année suivante, on en compte 45 ; et le rapport de 2009 de Delphine Batho et Jacques-Alain Bénisti en comptait 58 - voir Fichage en France sur Wikipédia ; avec les 4 nouveaux fichiers illégaux découverts par la CNIL à l'occasion de cette polémique, et le fichier OSCAR utilisé pour ficher les empreintes digitales des "bénéficiaires" de l'aide au retour, cela fait 65 fichiers de police selon Jean-Marc Manach]

- [B.H.] en réalité les fichiers il y en a deux qui sont des fichiers majeurs, majeurs, il y en a d'autres, mais ce sont les fichiers des empreintes génitales [sic - il s'agit du FAED, le Fichier automatisé des empreintes digitales] et le fichier des empreintes génétiques [le FNAED]. Dans un cas c'est environ 3,5 millions de personnes, dans un autre cas environ 1,5 millions de personnes et naturellement tout ça peut se croiser. Ce sont des instruments indispensable à la lutte contre la délinquance, indispensables pour retrouver des cambrioleurs, indispensables pour retrouver des délinquants.

Je vous le dis, je suis totalement partisan, dans le respect des droits et des libertés individuelles, à ce qu'il y ait des constitutions de fichiers, et des bases de données pour être tout à fait précis, de bases de données, parce que cela permet de lutter plus efficacement contre la délinquance. Et si le taux d'élucidation a spectaculairement augmenté dans notre pays, c'est précisément parce que nous avons des bases de travail [affirmation non démontrée].

- aujourd'hui il n'y a que des fichiers légaux qui fonctionnent?

- [B.H.] en tout cas ce que je dis, c'est surtout, dans cette affaire on a voulu salir la gendarmerie [sic - M. le ministre verserait-il dans la théorie du complot ? faut-il déchoir de sa nationalité Le Monde ? ], on a voulu porter atteinte aux gendarmes, et moi qu'ils sachent que je les soutiens totalement [l'autre message important du ministre est dit: rassurez-vous! nous vous soutenons. CQFD implicitement: Le Monde et les autres ne vous soutiennent pas].

- oui, enfin, on déduit...

- [B.H.] pas vous? écoutez vous avez l'air de faire une moue.

- non, je vais vous dire quelque chose: on déduit de vos propos qu'un fichier a fonctionné illégalement de 1992 à 2007.

- [B.H.] écoutez, moi je n'étais pas au pouvoir en 1992, ce n'était pas mes amis politiques, ce n'était pas ma famille politique, ni en 1992 ni en 2000 lorsqu' a été créé le fichier généatique. Moi, je, encore une fois, je regarde...

- le Directeur général de la gendarmerie [inaudible]

 - [B.H.] ou les responsables ministériels de l'époque, vous m'invitez bien comme responsable ministériel.

- mais donc vous confirmez qu'un fichier a fonctionné de manière illégale entre 1992 et 2007.

- [B.H.] je dis en tout cas que sous la présidence de Nicolas Sarkozy et moi comme ministre de l'Intérieur tout a été clarifié et tout est clarifié. Tout est en cours de clarification parce qu'il peut y avoir des choses [vraiment? il y aurait donc encore d'autres fichiers illégaux ?]

Complément ajouté le 20 octobre 2010.
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 Les documents utilisés ici sont cités dans le corps de l'article (la note de 1992 est accessible à partir de l'article du Figaro). Nous les récapitulerons ici très prochainement.

Julien Martin,  Rue89 publie un fichier « Roms » de la gendarmerie, Rue 89, 18 octobre 2010 

Jean-Marc Manach, La CNIL découvre 4 fichiers illégaux à la gendarmerie, Bug Brother, 14 octobre 2010 

CNIL, Conclusions du rapport préliminaire des contrôles effectués auprès de la gendarmerie nationale, 14 octobre 2010  

Assemblée nationale, audition du général Jacques Mignaux, 13 octobre 2010 

Franck Johannès, Fichier des Roms: c'est la faute à Pierre Joxe, Libertés surveillées, blog du Monde, 11 octobre 2010 

Franck Johannès, Le fichier des Roms du ministère de l'Intérieur, Libertés surveillées, blog du Monde, 7 octobre 2010

Christophe Cornevin, La note sur les Roms rédigée en 1992 sous Pierre Joxe, Le Figaro, 7 octobre 2010


"Le nomadisme sans frontière est un mythe politique", selon l'historienne Henriette Asséo, Le Monde magazine, 4 septembre 2010