mardi 6 avril 2010

Traite des êtres humains et politique de l'immigration

Y a-t-il une contradiction entre le durcissement constant de la politique européenne d'immigration & les dispositifs de protection des victimes de la "traite des êtres humains"? Comment distingue-t-on "traite des êtres humains" et "aide à l'immigration clandestine"? Quel est alors le statut des victimes, puisque si dans le premier cas elles sont d'évidence des victimes, dans le second cas, la législation les considère comme des "clandestins" en infraction à la législation sur le droit d'entrée et de séjour des étrangers.


Autant de questions abordées par Immigration and criminal law in the European Union: the legal measures and social consequences of criminal law in member states on trafficking and smuggling in human beings (2006), écrit par Elspeth Guild et Paul Minterhoud. En attendant une possible analyse plus détaillée, nous relevons ici quelques points soulevés par Rosa Raffaelli, dans sa recension de novembre 2009, qui présente le livre comme indispensable.

Les auteurs soulignent la tension, voire la contradiction, entre la politique d'immigration, s'incarnant dans des dispositifs juridiques d'expulsion, et la politique visant à protéger les victimes de la traite humaine (la distinction, précise en droit international, entre smuggling et trafficking, ou entre "aide à l'immigration clandestine" et "traite des êtres humains", celle-ci impliquant une forme de contrainte sur la personne contrairement à celle-là, l'étant beaucoup moins au niveau communautaire et national).

Les victimes ont en effet la particularité d'être simultanément des "coupables", puisqu'en infraction à la législation sur les étrangers. La directive 2004/81/CE,"relative au titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l'objet d'une aide à l'immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes", permet par exemple aux Etats d'accorder un permis spécial de résidence pour les victimes de traite humaine, jusqu'à la fin du procès impliquant les auteurs présumés de la traite. Mais ce permis ne vise qu'à susciter la coopération avec la justice des victimes, en tant que témoins, et non à défendre leurs droits. Le permis ne vaut plus après la fin du procès.

Rien n'empêche les Etats de faire davantage: l'Italie accorde un permis de séjour spécifique, qui n'est pas subordonné à la coopération avec les autorités judiciaires, et donne accès aux systèmes de protection sociale.

La plupart des auteurs soulignent qu'il n'y a pas de lien direct entre l'alourdissement des peines prévues pour "aide à l'immigration clandestine" ou "traite des êtres humains" et les statistiques concernant ces deux phénomènes. Au contraire, des peines plus lourdes peuvent conduire à des violations des droits de l'homme plus importantes (les "passeurs" pouvant par exemple jeter à la mer leur "cargaison" humaine pour éviter d'être repéré).

En revanche, il y a bien un lien entre le durcissement des politiques d'immigration et l'augmentation des migrations "clandestines", les voies légales se réduisant comme peau de chagrin sans que la demande du marché pour des travailleurs étrangers ne baisse.

Par ailleurs, la situation de précarité et d'isolement dans laquelle se trouve les sans-papiers, une fois arrivés à destination, peut les conduire à rechercher de l'appui économique parmi les réseaux mafieux de la "traite des êtres humains".

Elspeth Guild et Paul Minterhoud, Immigration and criminal law in the European Union: the legal measures and social consequences of criminal law in member states on trafficking and smuggling in human beings, Martinus Nijhoff Publishers, 2006

Recension de Rosa Raffaelli, in Criminal Law Forum (vol. 4, n°20, nov. 09).

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